2. Pelotes

lundi 22 octobre 2012 Commentaires fermés sur 2. Pelotes

Résumé des épisodes précédents : donc, leur temps est suspendu. Dans ces cas-là, il passe vite, c’est un torrent de montagne qui les roule comme des pierres. On ne sait pas vers quoi. Est-ce vers une catastrophe qui aurait la vertu de rendre à nouveau le monde lisible ? Est-ce vers de nouveaux projets ? Chacun est plongé dans une sorte de vacance. Ou soudain jeté dans l’embrasement d’un possible qui se dérobe néanmoins. Ils sont infirmes à l’égard du présent, vaquant à leurs occupations en attendant.


Il n’y a pas d’un côté une monstrueuse pelote du Monde et, de l’autre,
des milliards de pelotes personnelles minuscules et minables furetant à la surface de la terre. C’est la même.
Fred Vargas, Critique de l’anxiété pure, Viviane Hamy, 2003, p. 33
KevinGordon_CCBySA_www.geograph.org.uk_photo_1176154An eccentric tangle of trees at Cooden Moat, Bexhill, Photo Kevin Gordon, CC-By-SA

La monstrueuse pelote de la complexité et celle où s’emmêlent les liens lilliputiens de leur vie conspirent à les priver du possible. En se débattant, ils resserrent ces liens. Dans la violence d’un geste soudain, il leur arrive de les briser. La souffrance et l’intense plaisir se mêlent alors, mais bientôt viennent emmêler d’autres pelotes. C’est qu’il leur faudrait parvenir à démêler les deux pelotes qui ne sont qu’une d’un coup. L’une les fait un mais divisé, individu non pas dans le sens de ne pouvoir être divisé plus avant, mais dans celui de l’être irrémédiablement, des autres et de soi. L’autre les fait partie d’un collectif qui n’est pas encore nous, puisqu’il n’a pas pouvoir sur les conditions de son devenir. C’est pourquoi dans ce temps vacant, le personnel et le politique se mêlent comme jamais.

Naviguer dans ce temps leur demanderait des combinaisons improbables, la légèreté dansante et la sagesse, l’impulsion et la réflexion, la métis chasseresse de possibles et la patiente construction, le refus de l’intolérable et le respect des personnes. Jamais ils n’y parviendront seuls et pourtant chacun doit faire comme si cela ne dépendait que de soi.

Comme pour toutes les pelotes, ils ne peuvent les démêler qu’en attrapant un brin. Ce peut-être n’importe lequel. Un ordre ou une réprimande qu’on ne supporte plus, une fureur froide qui saisit à l’absurdité d’un indicateur ou d’un discours, un morceau de la bonne vie qui semble leur échapper, une injustice longtemps négligée qui devient intolérable. Le problème c’est que dès qu’ils attrapent le brin, s’ils serrent ça fait un nœud. Ils doivent s’arrêter juste avant, voir ce qui bloque, essayer de sortir une boucle. Le risque de se décourager est grand.

Lorsqu’ils se sont reconnus et aimés, ils en gardent une cicatrice. Ils la touchent sans même y penser et ressentent douleurs et délices. Cela devient comme un rituel pour affronter le quotidien. A chaque fois le défi est immense : comment peuvent-ils s’échapper sans se marginaliser ? Prendre sans retirer ? Echapper au poids du communément accepté sans tomber dans la table rase de tout ce qui l’a construit ?

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