Boca negra (c’est par la bouche que meurent les poissons) – ana nb

vendredi 1 février 2013 § 3 commentaires

Tiers Livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. Ce mois-ci le vendredi tombe le premier du mois et ana nb est venue porter sa langue sans pareille dans l’atelier. Mon propre texte est chez elle dans le jardin sauvage. Comme chaque mois, grâce au généreux travail de Brigitte Célérier, vous avez accès à la liste des vases communicants.


Boca negra (c’est par la bouche que meurent les poissons)

vous ne savez pas d’où vous partez – vous ne savez pas d’où ça part – il ne s’agit pas de partir d’ailleurs – vous restez là – face à un écran – il n’y a pas de voix – (ou alors un fantôme de voix)

ici – bruit devient son – son devient voix – voix devient parole – parole devient mouvement – mouvement devient geste – geste devient signe – signe devient chemin – chemin devient

arbre lumière trait de lumière – un homme se penche

sur une roue traverse la route traverse le chemin traverse votre voix

vous ne savez pas d’où vous partez – une voix trop grande pour votre œil d’enfant

vous ne dessinez rien – les chemins les routes dessinent l’entrée dans le tumulte

là – vous ne connaissez rien du récit fidèle – de la fiction menteuse – vous apprenez dans une langue la possible construction – l’impossible reconstruction – à partir de l’ombre et du vent – à partir des os et du sang

rocheveinée

plus loin – un homme marche – vous connaissez ses pas sa silhouette noire son manteau noir ses cheveux noirs – cet homme devient l’étranger – vous n’écrivez rien – vous prenez un peu de terre et la terre devient le temps du passé –

le monde commence quelque part – le monde peut commencer là –

dans sa solitude son souffle – c’est le soir

vous vous arrêtez – vous levez la tête – la fenêtre a six sources de lumière – six rectangles de vie intérieure – plus bas dans le sombre – la terre ne cache pas le plus important – du plus loin au plus proche – la baraque en U disparaît dans le ciel – le ciel déporte image – toutes ces images

maintenant – vous marchez dans l’improbable réalité – le chemin la frontière et la lumière bleue de deux oliviers

ici – à la sortie de la pénombre – ici – où vient le visage – la solitude traverse la peau du visage – le chant traverse la solitude – l’affirmation sonore descend du soir –

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vous ne savez pas d’où vous partez – d’une route seule avec des arbres vieux – d’une route plus haute – d’une route – et la ville – d’une route traversée dans une ville étrangère – et la ville s’appelle Albox Alméria Madrid Barcelone Sabadell Hanovre Berlin Muros Lisbonne – et d’autres villes d’autres villes oubliées – d’une route d’été – d’un bord de route – d’une route avec au centre une cicatrice

plus tard – vous croisez l’éclair cinglant d’un visage – ses mots cachés – dedans – tête se penche nuque s’incline buste s’incline paupières se baissent lèvres se ferment –

là – au fond d’un passage – le vent lance sa force – sa force s’étire en danse – les bras les mains dans la confusion des heures –

nuit – il fait nuit – le bleu augmente le bleu – la nuit augmente le bleu de la fenêtre – et toutes les fenêtres – vous ne dessinez rien – vous n’écrivez rien – vous chantez – dans le souffle faible d’une autre voix – vous cherchez un écho dans la terre endormie – la voix dit deux histoires – c’est par la bouche que meurent les poissons –

ici – via rupta rumpere rompre – rompre – votre fidélité au rêve – l’impossibilité de tracer d’un seul geste le chemin – le chemin la voix la frontière –

maintenant – devant vous la composition en bleu de la nuit – de cette nuit – une voix rejoint une autre voix – le visage entre partout – de l’intérieur de l’extérieur – quasi réel – le visage désarme votre bouche – votre langue n’est plus artifice – votre phrase n’est plus ordre

sur le point de – un tissu coloré sur une chaise – votre voix devient boca boca negra boca boca boca negra boca boca negra boca boca boca negra boca boca negra boca

vous devez rendre à la nuit ce qui vous aveugle


texte : ana nb
photos : philippe aigrain

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