Tant pis pour l’improbable – Angèle Casanova

vendredi 5 juillet 2013 § 6 commentaires

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De son passage, il ne reste qu’une trace, qui court de barreau en barreau, le long de cette clôture métallique.

Elle a longé le collège. Elle s’est appuyée un instant contre la grille. Pour se reposer. Elle avait parcouru un long chemin. Fatiguée, elle s’est contentée de glisser de côté, de s’affaler contre la surface froide qui lui a arraché un soupir d’aise. Sa peau lisse s’est adaptée à la forme des barreaux. S’y est incrustée. Elle a pris tout son temps. Personne ne la voit. Alors, pourquoi se presser. Personne ne la voit, et pourtant de temps à autre, des gens passent. Un noctambule pressé de rentrer chez lui. Un chat en maraude. Elle ne bouge pas. Se fait le plus petite possible. Ils ne la voient pas. Jamais. Elle dépasse d’une tête les plus grands des hommes. Mais ils ne la voient jamais. Ils ne voient jamais ce qui les dépasse.

Une limace mesure au maximum cinq centimètres.

C’est connu. Alors personne ne la voit. Elle passe aisément pour un défaut de vision. Un voile nuageux. Une hallucination due à l’alcool. Les gens haussent les épaules, et passent leur chemin. Alors, elle n’hésite pas. Elle reste là. Le long de ce mur. A se reposer. Lorsqu’elle part, au petit matin, elle a laissé une trace brillante sur le métal. Une trace d’escargot. Géante. Personne ne la remarquera. Pour sûr. Ils ne voient que ce qu’ils sont censés voir. Tant pis pour l’improbable.

Angèle Casanova (texte)
Philippe Aigrain (photographie)

Angèle Casanova (aka @PoivertGBF sur twitter) est la plus enthousiaste adepte des vases communicants. Il a fallu que je m’y prenne en janvier pour obtenir ce rendez-vous en juillet. Cet enthousiasme est contagieux et réjouissant. Observatrice fine de la ville et de ses habitants et praticienne quotidienne du partage des connaissances, elle se jette dans une écriture directe et sensible qui va droit au but. C’est un bonheur que d’heberger son texte ici. Vous pourrez en découvrir bien d’autres sur son blog Gadins et Bouts de Ficelle, où vous trouverez mon texte pour ces vases communicants.

Comme chaque mois, grâce au généreux travail de Brigitte Célérier, vous avez accès à la liste des vases communicants.

§ 6 réponses à Tant pis pour l’improbable – Angèle Casanova"

  • Zéo Zigzags dit :

    Très juste, Angèle. On ne voit bien que ce qu’il est confortable de voir, ce qui ne dérange en rien notre confort. Enfin, la plupart des gens. La plupart du temps. Avoir la poésie dans l’œil change tout.

    Zéo

  • czottele dit :

    ah! et bien! tu as fait court pour une fois! ça te va très bien à l’écriture! (Une limace qui te veut du bien)

  • Zéo : j’aime bien tomber juste. Chouette.
    Christine : en fait, je suis très à l’aise avec les textes courts. Ce n’est que récemment que je me suis mise à des textes plus étoffés. Je vais avoir besoin de temps, encore, avant d’arriver à écrire des textes longs qui fassent oublier qu’ils le sont. Merci beaucoup, chère limace !
    Et merci Philippe, pour votre accueil, on se sent diablement bien dans votre atelier de bricolage !

  • ACC dit :

    C’est amusant, ce texte me fait penser au thème que nous avons choisi avec Dominique Hasselmann pour notre échange de juillet : l’invisible.
    D’ailleurs pour la petite anecdote, la photo que je lui ai confié à été réalisée dans la gourgue d’Asque (une très belle balade dans les Pyrénées). Au cours de cette promenade j’ai croisé d’impressionnantes limaces. J’ai longtemps réfléchi – étrangement – à la possibilité d’une réincarnation dans le corps de cet invertébré gluant. Pensée qui a déclenché une belle angoisse (oui, nous sommes très nombreux dans ma petite tête…)
    Enfin voilà, beaucoup d’ego dans le moi humain. Difficile d’accepter de devenir invisible. C’est en pensant à la fameuse limace que j’ai écrit ce vase. La coïncidence me fait donc sourire.

  • philippe dit :

    De l’autre côté du Tourmalet, les mêmes super-limaces ont exerce de sérieux ravages dans le potager improvisé entretenu mentalement à distance. Rien cependant en comparaison des inondations.

  • ACC dit :

    Philippe, vous savez, j’ai bien l’impression que les limaces par chez nous mesurent plus de cinq centimètres. Elles sont gonflées aux hormones d’humidité !

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