Désassujettissement civil

vendredi 13 septembre 2013 Commentaires fermés sur Désassujettissement civil

Ceci est le quatorzième texte de la série Vacance. Ni histoire, ni prédiction, ces textes accompagnent la naissance des néotopies à la façon d’un contrepoint.


Tout a commencé par un temps très doux. Ceux qui pouvaient partir s’étaient éloignés plus longtemps que d’habitude, ils avaient pris une respiration très longue avant de replonger en apnée. Comme ce que l’anesthésiste vous demande de faire pendant qu’il vous envoie dans un néant provisoire. Et puis en revenant, on avait eu du rab’. Un temps suspendu, avec l’air frais du matin et le soleil chaud de midi, avec les robes ou les chemises légères sur les peaux bronzées. On savait tous que ça n’allait pas durer.

Maintenant, on y est. En plein dedans. Et il ne se passe rien. Juste des symptômes. Le meilleur spécialiste des inégalités et de ce qu’on pourrait faire pour les limiter se démultiplie en longueur et en surface et devient de plus en plus convaincant. Il va avoir un prix fameux, mais on ne fait rien de ce qu’il propose. Dans les cercles des pouvoirs, on se réjouit de n’être critiqué que par des extrémistes populistes marginaux manipulés par les puissances étrangères et quelques vieux sages qui n’ont pas encore compris les nouvelles règles du jeu du pragmatisme. Ceux qui sont polis sont jugés insignifiants et des méchants aux bonnes manières présentent ceux qui s’énervent comme des excités agressifs.

L’idée, c’est de faire sécession. Pas la viennoise, mais une sécession dans la société. D’en construire une en douce, un petit cavalier sociétal, un amendement au cours des choses qu’on ferait sans demander la permission. Seulement, le hic c’est qu’ils ont rapproché les murs, l’espace se rétrécit. En conduisant une politique principalement injuste accompagnée de petits correctifs pour la rendre moins injuste aussitôt eux-mêmes corrigés pour que le soupçon de justice homéopathique ne heurte ni les entreprises, ni les riches, on a franchi un nouveau pas dans la fabrication de l’égoïsme. Le régime précédent dressaient les groupes sociaux contre leurs voisins géographiques et sociaux. Celui d’aujourd’hui a maintenant réussi à ce qu’une bonne partie des personnes éduquées aisées considère qu’ils sont victimes de prélèvements injustes. C’est super pratique, vu que ça permet aux cyniques et au clergé de l’économisme de proposer de faire encore pire. Entre ceux qui n’ont plus le temps ou les moyens de rien mais sont tout de même maintenus un peu sous perfusion pour qu’ils ne se mêlent pas de croire qu’ils n’ont plus rien à perdre et les gens qui auraient le temps, parfois les idées, que tout de même ça gène un peu d’enjamber les SDF en rentrant chez soi le soir mais qui ont du confort à perdre, personne ne bouge.

Certaines trouvent refuge dans la fiction, mais la réalité la rattrape. L’auteure d’un livre sur la chasse au non-marchand, au don et à la gratuité est menacée de poursuites pour incitation à la concurrence déloyale. Non, ça c’est pas vrai, enfin le livre si, mais pas les menaces de poursuites. Par contre il y a plein de modes de partage qui sont interdits ou découragés, qu’il s’agisse d’eau, de capital financier, de travail, de culture. Le mouvement de déassujettissement1 civil est parti de là.

Chacun des participants porte dans sa poche des petits cartons rouges, et lorsqu’on entend un énoncé qui stigmatise le non-marchand ou le partage, qui justifie l’injustifiable au nom de l’économisme, on sort un des cartons et on le tient juste là, sans rien dire (c’est pas poli d’interrompre). Prévoir plusieurs cartons, ils tirent parfois en rafales.

  1. L’assujettissement, c’est la situation de contrainte imposée à quelqu’un et due à l’obéissance, à des règles, obligations, formalités ou normes astreignantes de tous ordres (dictionnaire du CNTRL). []

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