Je poursuis ma lecture lentissime des annotations sur l’espace non datées (troisième carnet). Cette lenteur n’est pas simplement due aux exigences de toute lecture de poésie. Elle répond à un besoin spécifique d’accorder du temps aux annotations sur l’espace. Chacune de ces petites notes d’une à très rarement sept lignes, au total le plus souvent moins de vingt mots, appelle une lecture cognitive et sensible qui met du temps à se développer. Elles mobilisent dans leur écriture de vives intelligences par rapport auxquelles le lecteur ressent un émerveillement mais aussi une insuffisance, le besoin d’une lente appropriation. Intelligences au pluriel, pour ne pas laisser penser qu’il n’y en aurait qu’une, ou pire encore que ce serait cette intelligence panoptique chère à la NSA ou au GCHQ et à leur SIGINT1. Mais quelles intelligences ?
intelligence des mots d’abord
un mot, terre ou ciel mais le mot, terre comme ciel
intelligence des langues
dans la langue intrusion de l'autre langue produit le rapport de l'une autant que de l'autre à des choses
et justement l’intelligence des choses et de leurs agencements
dans quel mortier aura pour le plafond été noyé jambage ou pilier
intelligence des sensations
fumier, couleur du coq le fauve immobile
ou
prairie, le rouge ne se rattachant à rien sinon à soi
intelligence, au sens ou l’on est en intelligence avec quelqu’un, intelligence niée quelque fois :
toi même, l'imbécile de ta pensée
intelligence de la mémoire
de l'inoubliable, je n'ai pas à me souvenir
ou
il arrive que trou de mémoire donne à un mot d'être chose
et de tout ce qu’on ne saisit pas
de tout ce que j'ai pas retenu, je ne me retirerai pas
intelligence du temps qui répond à la question pourquoi « non datées » dans le titre
du temps seul à faire date ce qui en sera par instants sorti
et plus que tout, bien sûr, l’intelligence de l’espace que seul pouvait résumer celui qui dit :
je me suis espacé
- Signal intelligence. [↩]