Le murmure des cris et le cri des murmures

vendredi 27 juin 2014 Commentaires fermés sur Le murmure des cris et le cri des murmures

Avec des codes barres de viande hachée, ils ont scanné nos libertés.
Dessus ils ont marqué :
À surveiller toujours.
J'ai ouvert grand le corps. Je leur ai dit d'y introduire le feu.
Quelque chose. N'importe. Pourvu que se taise le vide. …

Hyam Yared, Esthétique de la prédation
Hyam Yared et Hélène Frederick (floues)

J’écoutais hier Hyam Yared interrogée par Hélène Frederick dire à propos de son recueil de poésies Esthétique de la prédation1 qu’il fallait que les femmes crient et qu’on entende leurs cris. Et ça crie fort, rien n’est épargné, ni nos grands mots comme la liberté, ni l’enfance, ni l’amour. Comme nous discutions avant la rencontre (nous avons un ami commun) et que je tenais à la main son livre, Hyam Yared s’est inquiétée de ce qu’il puisse ne pas me plaire. Inquiétude, je crois, de mon possible effroi ou plutôt que je recherche autre chose dans la poésie. Cette inquiétude aurait été plus forte sans doute si elle avait su que je m’adonne à une poésie amoureuse plutôt allusive et tendre. Et pourtant, aucun risque que je me détourne de la violence du cri.

Ce cri n’est pas seulement celui d’une femme du Moyen-Orient, il a une portée plus universelle, qu’elle souligne elle-même, notamment dans sa critique des médias télévisuels : « L’écran de télé n’est au fond qu’une bouche dévoreuse de cadavres et qui, entre deux pubs, esthétise l’effroi, les massacres, les désastres » écrit-elle dans le prologue du recueil (lu par Hélène Frederick). Mais s’il est temps que les femmes crient et qu’on écoute leurs cris, il peut être bon aussi que les hommes murmurent ce qu’ils n’ont pas su dire. Entendons-nous bien, cela, les femmes l’ont dit et le diront encore. Mais il est temps que les hommes le disent avec leur corps-esprit si semblable et si différent. Cela ne leur interdit d’ailleurs pas de crier aussi.

Il y a des murmures dans les cris. Hyam Yared explique (à propos de la grand-mère de Sous la tonnelle) qu’il faut savoir voir, même dans l’agresseur, l’être humain, le corps souffrant et ses liens, que c’est la condition du dépassement de la peur et de peut-être échapper à la violence. Mais il y a aussi des murmures plus tendres. Et bien sûr il y a des cris dans les murmures. Pas seulement parce que la prédation peut se nicher dans tout désir amoureux, ou qu’entre les lignes suinte le cri jamais assouvi de la solitude. Aussi parce qu’au fond de tout engagement dans l’écriture, il y a une cicatrice illisible, une éclipse de la volonté rationnelle dirigée pour que s’écrive quelque chose à travers nous.

Si nous faisons dialoguer cris et murmures, un fragile s’espace s’ouvrira qui nous fait aujourd’hui cruellement défaut, pour nous rendre et rendre nos sociétés un peu plus humaines.

  1. Mémoire d’encrier, Montréal, 2013. []

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