Entre le marteau et l’écume de Béatrix Beck

dimanche 26 octobre 2014 Commentaires fermés sur Entre le marteau et l’écume de Béatrix Beck

En ces temps bousculés, sauf impulsion de rencontre, je me suis replié dans des travaux d’écriture de plus longue haleine dont le fil conducteur est une certaine approche de la poésie phonétique. La plupart ne deviendront visibles, ou plutôt audibles, que plus tard. En attendant je m’abreuve aux écrits d’autres, et il y a de belles découvertes. L’année dernière, les éditions du Chemin de fer ont publié les poésies complètes de Béatrix Beck dont n’étaient connus qu’une quinzaine de poèmes. A l’occasion de ce qui aurait été son centenaire, ma librairie de quartier a présenté ce livre où le quartier d’ailleurs apparaît, dans le poème La main passe qui débute ainsi : « Elle était gantière passage de la Main d’or ». Quel choc ces poèmes. Une amie m’a dit une fois qu’il fallait dynamiter la langue. Enfin, elle ne l’a pas dit de façon aussi normative, c’était plutôt une explication de son propre travail. Mais si on la dynamite, c’est pour la recomposer, pour construire une autre langue qui se fait entendre par en-dessous et qui se lit par dessus. Chez Béatrix Beck, cette autre langue, explosée et recomposée paraît comme une seconde nature porteuse d’un cri qui nous déménage. Ainsi dans cet extrait de « Corps étranger1 » :

Mois cois
Moi clown con clou flou flot frit
Héros zéro
Suis un cas un cafard un capĥarnaum

Dieu en prend pour son grade. Qu’il n’existe pas ou plus, on ne saurait l’absoudre de ce qu’il a fait endurer. La mère de la poète2, qui s’est suicidée, ouvre une béance douloureuse pour toutes les mères. La mort est un thème qui traverse tout, mais cela ne l’a pas empêché de vivre 94 ans.

J’ai couché dans le fossé
Je crains les cimes les cimetières
J’ai joué aux dés aux déserts aux délits aux délires
La mort, la morale ne passe pas
Maman d’angoisse
Voyez la faux la fausse la fosse la folle

A lire ce qui précède, on pourrait passer à côté de ce qui a poussé sa petite fille Béatrice Szapiro à la décrire comme « un génie malicieux ». Les amours sont là aussi et y trouve même des gargouilles :

Allons au pays de l’éternelle pluie, clament les gargouilles en chœur
Vive grain crachin brumes et embruns Cherchons les eaux infinies

et cette conclusion très temporaire :

Lettres, chiffres et chiffes ne sont ni repris ni échangés

  1. Repris et étendu dans le grand poème Établissement psychiatrique paru dans la revue Lettres nouvelles en 1972. []
  2. Béatrix Beck est bien plus connue pour ses romans et récits. []

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