Louise Crawford – Les danseurs contemporains

vendredi 1 septembre 2017 § Commentaires fermés sur Louise Crawford – Les danseurs contemporains § permalink

Depuis sept mois, j’ai plus ou moins déserté ce blog pour rédiger, puis réviser un roman dont je viens de finaliser le tapuscrit que je vais soumettre à divers éditeurs. Il est temps de revenir dans ma maison numérique, mais il faut que je m’y réacclimate progressivement. Fin juillet une main heureuse a fait émerger du fouillis des productions de la famille, une création textuelle et graphique que ma fille Louise, alors âgée de seize ans m’a offerte le 9 septembre 2000 pour fêter en retard mon anniversaire et célébrer notre commune passion pour la danse contemporaine que nous consommions avec délice dans la Belgique d’alors. Avec sa permission, j’en publie ici le texte, accompagné de scans des 4 pages manuscrites illustrées (cliquer sur chaque image pour une version en haute résolution).


Les danseurs contemporains

dessin et écriture Louise Aigrain

Ils n’ont rien oublié du respect qu’ils doivent aux poussiéreux mais grandioses ballets des siècles passés. Ils ont su en prendre le meilleur pour enfin en abolir les lois centenaires, ridicules et oppressantes pour leurs imaginations. Qu’ils sont jeunes ! Gardiens du savoir depuis la nuit des temps murmuré dans le milieu de la danse ainsi que celui, encore inexploré qu’ils inventent, chaque jour, ils créent une révolution douce et amusée.

Leur immobilités sont devenues aussi précieuses que leurs mouvements et ils portent la grâce de cette immobilité tel un bijou au prix inconcevable. Ils ont parfois l’air embarrassé de tous…

dessin et écriture Louise Aigrain

… leurs membres, puis, subitement, ils leur trouvent une utilité nouvelle, un bras pour attirer ou repousser un voisin, un tremblement, une ondulation jusqu’à l’extrêmité d’un doigt, captivante.

Ils rebondissent contre des murs invisibles et surpassent des obstacles d’air qui apparaissent alors insurmontables. Leur musique n’est qu’une suite de sons, répétés ou oubliés; des battements tels ceux de leur cœur que vous semblez déjà entendre résonner dans votre propre corps. Ils jouent avec la lumière ou l’obscurité que reflètent leurs habits, leur absence d’habits, leurs peaux.

dessin et écriture Louise Aigrain

Tous s’immobilisent, les regards se créent, se tendent, le silence s’installe, se fait admettre puis oublier. Spectateurs aux aguets, rien ne bouge, tout change… Et, lorsqu’enfin vous avez accepté de comprendre que la parole n’est qu’accessoire, que le corps, l’œil, l’ambiance créée ou troublée, la musique et ses silences peuvent en faire autant, enfin, enfin, ils vous parlent. Tout d’abord ce ne sont que des cris accompagnant leurs mouvements, leurs croisements dans l’espace. Puis viennent des mots, solitaires et insensés, interloquants. Aucun dialogue habituel ne se fon-…

dessin et écriture Louise Aigrain

… -de juste quelques questions lancées et abandonnées dans leur suspend, répondues par d’autres interrogations, plus futiles encore.

L’espace, les corps, les sons bougent, créant un naturel nouveau que les danseurs vous font accepter, adopter, au risque de l’oublier, les marches descendues et la porte refermée.


Vera Mantero – Les Serrenhos du Caldeirão, exercices en anthropologie fictionnelle

dimanche 21 mai 2017 § 1 commentaire § permalink

Le plus sûr signe qu’on est face à une création artistique majeure, c’est qu’on se dit que cela ne ressemble à rien et que pourtant cela évoque pour nous tout un univers. Le risque est alors grand de vouloir raccrocher ce qu’on a éprouvé comme expérience à d’autres œuvres plus familières, risque que je vais tenter d’éviter ici en me tenant au plus près du vécu de cette expérience.

Photo Rencontres Chorégraphiques Internationales de la Seine Saint-Denis

Photo : Rencontres Chorégraphiques Internationales, lien vers le site du mag de la Seine Saint-Denis

Vera Mantero fait preuve d’une remarquable rigueur intellectuelle qui se manifeste dès le choix du sous-titre de son spectacle : « exercices en anthropologie fictionnelle ». Ce n’est pas rien d’arriver à susciter un enthousiasme unanime d’un public venu voir une danseuse-chorégraphe en lui proposant un spectacle où la danse n’occupe que deux minutes d’une sorte de post-face sur laquelle je reviens plus bas, tout le reste relevant du chant, de la performance, d’une scénographie utilisant des matériaux filmiques documentaires et d’une sorte de conférence que donnerait à un public d’amis une intellectuelle raffinée mais modeste. Ce détournement est possible justement parce qu’il s’agit d’une anthropologie fictionnelle, qui agit sur deux ressorts fondamentaux de notre expérience : la curiosité de l’autre qui par sa différence même nous révèle ce que nous sommes et la projection dans un récit qui nous permet d’imaginer ce que nous pourrions être. Voyons donc comment cela se passe.
» Lire la suite «

Poème dansé – Nolwen Euzenn

vendredi 6 juin 2014 § 3 commentaires § permalink

Image poème dansé

Si je danse mon poème de tous les membres de ma voix. Du talon de ma phrase au cou de mes pensées. Si dans les mots en foule m’attendent des rêves dans la hanche, les voyages d’une colonne vertébrale. Ce que tu dis avec, est-ce que tu l’entends encore debout ? Ton poème déplié dans la pièce, est-ce que tu l’emmènes au bout de ton récit de ton bras embarqué ?

Ce qui danse dans la tête des piqués, des idées crues, des forces nettes. Ce qui butte claque bloqué. Ce qui flanche fluide sur la page, et oui. Pensées courbées battues. À la course. Chassées. N’en parlons plus. Staccato presque nu.

Profondeur de ta réclamation. Ce qui pulse hors de son nid. Sans mot s’étire se prolonge dans la voix. Du souffle tend ses antennes. Une peau pour l’enfance. Un abri tiède vers la tienne.

Si les mots en foule dans la bouche ralentie. Des gestes brusques des idées crues des forces vives. Dessiner son volume au cœur d’une langue amie. Un visage sous le doigt. Ton corps pour dire ses appuis hors de phrase. L’œil à la course, sans bruit je file dans mes mains. Niche un mot plus petit. Qu’il vibre ici pour battre dans son flanc.

Texte : Nolwen Euzen


J’ai découvert Nolwenn Euzen par les vases communicants, qu’elle pratique depuis 2010, avec à chaque fois une attention à l’espace d’écriture de l’autre, une exigeante liberté dans la sienne propre. De là, j’ai parcouru son très beau site Grande menuiserie. Elle a écrit une biographie qui est en elle-même un travail littéraire. Nolwenn a proposé que nous ne nous fixions pas d’autres règles que celle d’origine : écrire chez l’autre. Elle a posé dans mon atelier le texte que vous venez de lire, et puisque que vous l’avez lu, que vous avez regardé l’image qui l’accompagne, vous comprendrez que je n’y ajoute rien d’autre que mon bonheur à l’héberger. Mon propre texte, Soliloque des longitudes est chez elle, où il s’est glissé au voisinage de ses dialogues des latitudes.

Comme chaque mois, grâce à la générosité de Brigitte Célérier, vous avez accès à la liste des vases communicants.

Les poèmes dansés de Kinkaleri

mercredi 28 mai 2014 § Commentaires fermés sur Les poèmes dansés de Kinkaleri § permalink

Il est très rare qu’une transposition assez directe d’un mode d’expression ou d’un média dans un autre donne des résultats satisfaisants. D’où ma joie à découvrir hier soir, grâce aux Rencontres chorégraphiques de Seine Saint-Denis et dans la belle petite salle du Colombier à Bagnolet, le travail de Kinkaleri dans leur spectacle Fake For Gun No You | All!.

alphabet dansé

Kinkaleri est un groupe de 3 chorégraphes italiens. C’est ici Marco Mazzoni qui a coordonné le travail des danseurs (et me l’a généreusement expliqué). Partant de la traduction italienne du poème corrosif de William S. Burroughs « For John Dillinger In hope he is still alive » (version originale ci-dessous), les danseurs ont d’abord mémorisé la suite de gestes correspondant à la traduction lettre par lettre du poème dans l’alphabet dansé qu’ils ont défini, ponctuation comprise (cf. image plus haut, cliquer dessus pour l’agrandir). Chaque lettre est également associée à un son phonémique qui va servir parfois d’accompagnement sonore. Exécutant de façon répétée cette séquence, ils l’ont progressivement mise en espace avec l’aide du chorégraphe.

For John Dillinger de WSB

Les danseurs (Jacopo Jenna et Simona Rossi) sont de ceux que la scène transfigure. Dans la rue devant le lieu du spectacle, ce sont des très jeunes copains pas mal de leur personne, mais sur scène et dans la gestuelle de l’alphabet, ils ont une étonnante beauté sans préciosité, une justesse de chaque mouvement à laquelle la réussite du spectacle doit bien sûr beaucoup. La réussite, le sentiment d’une certaine évidence, tient également au fait qu’ils ont considéré la production comme la création d’une autre forme de texte, habité de celui de Burroughs mais qui est le leur (si je ne trahis pas leurs explications en italien).

Kinkaleri a ainsi mis en danse d’autres poèmes, dont un de John Giorno, qu’ils ont présenté en Californie avec lecture simultanée sur scène par John Giorno de son poème.

Bon c’était la dernière hier ici, alors voici leur vidéo de promotion du spectacle pour vous consoler.

Où suis-je ?

Vous visualisez actuellement la catégorie danse.