Entre le marteau et l’écume de Béatrix Beck

dimanche 26 octobre 2014 § Commentaires fermés sur Entre le marteau et l’écume de Béatrix Beck § permalink

En ces temps bousculés, sauf impulsion de rencontre, je me suis replié dans des travaux d’écriture de plus longue haleine dont le fil conducteur est une certaine approche de la poésie phonétique. La plupart ne deviendront visibles, ou plutôt audibles, que plus tard. En attendant je m’abreuve aux écrits d’autres, et il y a de belles découvertes. L’année dernière, les éditions du Chemin de fer ont publié les poésies complètes de Béatrix Beck dont n’étaient connus qu’une quinzaine de poèmes. A l’occasion de ce qui aurait été son centenaire, ma librairie de quartier a présenté ce livre où le quartier d’ailleurs apparaît, dans le poème La main passe qui débute ainsi : « Elle était gantière passage de la Main d’or ». Quel choc ces poèmes. Une amie m’a dit une fois qu’il fallait dynamiter la langue. Enfin, elle ne l’a pas dit de façon aussi normative, c’était plutôt une explication de son propre travail. Mais si on la dynamite, c’est pour la recomposer, pour construire une autre langue qui se fait entendre par en-dessous et qui se lit par dessus. Chez Béatrix Beck, cette autre langue, explosée et recomposée paraît comme une seconde nature porteuse d’un cri qui nous déménage. Ainsi dans cet extrait de « Corps étranger1 » :

Mois cois
Moi clown con clou flou flot frit
Héros zéro
Suis un cas un cafard un capĥarnaum

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  1. Repris et étendu dans le grand poème Établissement psychiatrique paru dans la revue Lettres nouvelles en 1972. []

Un quinze août à Paris de Céline Curiol

lundi 1 septembre 2014 § Commentaires fermés sur Un quinze août à Paris de Céline Curiol § permalink

Le dernier ouvrage de Céline Curiol, sous-titré Histoire d’une dépression, est un exemple abouti d’un courant qui réinvente aujourd’hui la littérature en se moquant de toutes les catégories, en y mêlant le récit personnel, la philosophie, la science, l’observation fine du quotidien et du sensible. Je ne sais pas si elle accepterait en fait l’épithète littéraire pour ce texte, qu’elle a écrit pour tous ceux qui traverseraient ou risqueraient de traverser l’expérience (ou plutôt la perte de l’expérience) dont elle nous fait part, et pour, en la retraçant, accomplir un pas de plus dans son dépassement. Pourtant je l’utilise ici, parce que si la littérature a un rôle à jouer pour, comme le dit Daniel Bourrion, qu’à force d’écrire le monde il devienne plus vivable, c’est à travers des ouvrages comme celui-ci. Ils ne sont pas sans précédent loin de là. Je pense bien sûr à deux ouvrages de Siri Husvedt, La femme qui tremble : Une histoire de mes nerfs et, de façon moins évidente, L’été sans les hommes. Le fil est ici commun, car elles se connaissent. Mais me viennent aussi à l’esprit, par exemple, des textes de Christine Jeanney.
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Le murmure des cris et le cri des murmures

vendredi 27 juin 2014 § Commentaires fermés sur Le murmure des cris et le cri des murmures § permalink

Avec des codes barres de viande hachée, ils ont scanné nos libertés.
Dessus ils ont marqué :
À surveiller toujours.
J'ai ouvert grand le corps. Je leur ai dit d'y introduire le feu.
Quelque chose. N'importe. Pourvu que se taise le vide. …

Hyam Yared, Esthétique de la prédation
Hyam Yared et Hélène Frederick (floues)

J’écoutais hier Hyam Yared interrogée par Hélène Frederick dire à propos de son recueil de poésies Esthétique de la prédation1 qu’il fallait que les femmes crient et qu’on entende leurs cris. Et ça crie fort, rien n’est épargné, ni nos grands mots comme la liberté, ni l’enfance, ni l’amour. Comme nous discutions avant la rencontre (nous avons un ami commun) et que je tenais à la main son livre, Hyam Yared s’est inquiétée de ce qu’il puisse ne pas me plaire. Inquiétude, je crois, de mon possible effroi ou plutôt que je recherche autre chose dans la poésie. Cette inquiétude aurait été plus forte sans doute si elle avait su que je m’adonne à une poésie amoureuse plutôt allusive et tendre. Et pourtant, aucun risque que je me détourne de la violence du cri.

Ce cri n’est pas seulement celui d’une femme du Moyen-Orient, il a une portée plus universelle, qu’elle souligne elle-même, notamment dans sa critique des médias télévisuels : « L’écran de télé n’est au fond qu’une bouche dévoreuse de cadavres et qui, entre deux pubs, esthétise l’effroi, les massacres, les désastres » écrit-elle dans le prologue du recueil (lu par Hélène Frederick). Mais s’il est temps que les femmes crient et qu’on écoute leurs cris, il peut être bon aussi que les hommes murmurent ce qu’ils n’ont pas su dire. Entendons-nous bien, cela, les femmes l’ont dit et le diront encore. Mais il est temps que les hommes le disent avec leur corps-esprit si semblable et si différent. Cela ne leur interdit d’ailleurs pas de crier aussi.

Il y a des murmures dans les cris. Hyam Yared explique (à propos de la grand-mère de Sous la tonnelle) qu’il faut savoir voir, même dans l’agresseur, l’être humain, le corps souffrant et ses liens, que c’est la condition du dépassement de la peur et de peut-être échapper à la violence. Mais il y a aussi des murmures plus tendres. Et bien sûr il y a des cris dans les murmures. Pas seulement parce que la prédation peut se nicher dans tout désir amoureux, ou qu’entre les lignes suinte le cri jamais assouvi de la solitude. Aussi parce qu’au fond de tout engagement dans l’écriture, il y a une cicatrice illisible, une éclipse de la volonté rationnelle dirigée pour que s’écrive quelque chose à travers nous.

Si nous faisons dialoguer cris et murmures, un fragile s’espace s’ouvrira qui nous fait aujourd’hui cruellement défaut, pour nous rendre et rendre nos sociétés un peu plus humaines.

  1. Mémoire d’encrier, Montréal, 2013. []

Annotations sur l’espace d’André du Bouchet

mardi 20 mai 2014 § Commentaires fermés sur Annotations sur l’espace d’André du Bouchet § permalink

Je poursuis ma lecture lentissime des annotations sur l’espace non datées (troisième carnet). Cette lenteur n’est pas simplement due aux exigences de toute lecture de poésie. Elle répond à un besoin spécifique d’accorder du temps aux annotations sur l’espace. Chacune de ces petites notes d’une à très rarement sept lignes, au total le plus souvent moins de vingt mots, appelle une lecture cognitive et sensible qui met du temps à se développer. Elles mobilisent dans leur écriture de vives intelligences par rapport auxquelles le lecteur ressent un émerveillement mais aussi une insuffisance, le besoin d’une lente appropriation. Intelligences au pluriel, pour ne pas laisser penser qu’il n’y en aurait qu’une, ou pire encore que ce serait cette intelligence panoptique chère à la NSA ou au GCHQ et à leur SIGINT1. Mais quelles intelligences ?

intelligence des mots d’abord

un mot, terre ou ciel        mais le mot, terre comme
                       ciel

intelligence des langues

                                          dans la langue
intrusion de l'autre langue produit le rapport
                          de l'une autant que de l'autre
      à des choses

et justement l’intelligence des choses et de leurs agencements

                            dans quel mortier
    aura pour le plafond été noyé jambage
                                        ou pilier

intelligence des sensations

                                      fumier, couleur
du coq                 le fauve immobile

ou

                                       prairie, le rouge
ne se rattachant à rien sinon à soi

intelligence, au sens ou l’on est en intelligence avec quelqu’un, intelligence niée quelque fois :

                                       toi même,
l'imbécile de ta pensée

intelligence de la mémoire

de l'inoubliable, je n'ai pas à me souvenir

ou

il arrive que trou de mémoire donne à un mot
d'être chose

et de tout ce qu’on ne saisit pas

de tout ce que j'ai pas retenu, je ne me retirerai pas

intelligence du temps qui répond à la question pourquoi « non datées » dans le titre

                                              du temps
seul à faire date ce qui en sera par instants sorti

et plus que tout, bien sûr, l’intelligence de l’espace que seul pouvait résumer celui qui dit :

je me suis espacé
  1. Signal intelligence. []

Ancre de Joanna McClure

mercredi 9 avril 2014 § 1 commentaire § permalink

Ancre

Oh mon amour, qui m'aima
Sans détour
Avec la délicatesse
D'un cœur touché,

Dont les épaules
M'ont protégée,
Dont l'attention
M'a déchirée,

Faisant surgir des sources de larmes,
Coulant de fissures
Longtemps scellées et douloureuses,
Sur de douces nouvelles surfaces —

La lenteur qui calmait la peur,
L'honnêteté qui protégeait,
L'ironie légère qui remettait d'aplomb,
Le choix des mots qui me gravaient

Moi irréparable.
T'arracher/M'arracher de mon cœur
Est un prix que je n'avais
Pas prévu de payer.

Je le dis donc ici :
Cette douleur, ce jour,
Tout ton désentrelacement tranquille
Finalement ne m'épargne pas du tout.

Le mal de t'aimer
Demeure, une ancre sombre,
Témoin de délices passés
Sombrant à nouveau au fond.

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Chiaroscuro de Deborah Heissler

dimanche 23 mars 2014 § Commentaires fermés sur Chiaroscuro de Deborah Heissler § permalink

Couverture de Chiaroscuro

Je porte une grande admiration (communément partagée) à la poésie de Deborah Heissler. Première découverte (tardive) en écoutant la lecture d’une traduction anglaise (par Sabine Huynh) d’un extrait de Comme un morceau de nuit découpé dans son étoffe. Proximité de la voix, écart de la langue. Il m’en reste cette impression d’avoir été porté, par les mots, par le chant intérieur qui les a mus. Puis j’ai lu ce recueil, celui qui l’avait précédé, et maintenant Chiaroscuro.

Les trois recueils remis dans l’ordre chronologique, la maturation d’une économie de moyens devient visible, élague quelques fioritures. Certaines mises en forme sont conservées depuis Près d’eux, la nuit sous la neige : des usages simples de la spatialisation du texte, l’alternance de la mise en italiques ou sans. Au-delà de cette continuité, Chiaroscuro est une merveille du dire tant avec si peu de mots et de mots simples. Du dire ce qui avant d’être dit ne se disait pas (je retranscris ici deux pages) :

— /
depuis ta nuque d’ébène et
mes lèvres de lait

à être mue sans fin paysage
celle qui

fut
à la langue de rose

Je ne vous explique pas ce qui se dit dans Chiaroscuro, car la préface de Sabine Huynh le fait mieux que je ne pourrais. Je veux en rester ici à la sensation de le lire, à ce sentiment d’être porté dans des continents du sentir, dans le double entendre du clair-obscur, celui de la transition de la nuit au jour et celui du contraste des peaux. Il y a une extraordinaire sensualité, au-delà des genres, dans un pays partagé comme un second degré du rêve. En fait, c’est comme si l’air avait changé de consistance, comme si les ondes sonores des mots lus intérieurement y sculptaient des formes, comme si la langue était un toucher.


Chiaroscuro est illustre de linogravures d’André Jolivet à l’encre rouge. J’ai un goût particulier pour cette technique que pratiquent des proches. Comme souvent, c’est l’image non illustrative qui fait un véritable écho à la poésie, qui installe un rapport d’intensification mutuelle entre deux registres de perception.

Pour Eric de Paul Celan

mercredi 12 mars 2014 § Commentaires fermés sur Pour Eric de Paul Celan § permalink

Illuminée,
une conscience défonce
l'équation de part et d'autre
frappée de peste

plus tard que tôt : plus tôt
le temps retient la brutale
balance rebelle,

tout comme toi, fils,
retiens ma 
main d'archer qui vise avec toi.

Paul Celan écrivit ce poème le 31 mai 1968, soit le lendemain de la manifestation aux Champs-Élysées pour la restauration de l’ordre gaulliste. Le poème est adressé à son fils Eric qui allait avoir 13 ans. « L’équation évoquée dans la première strophe » dit le traducteur1 et annotateur Jean-Pierre Lefebvre « peut concerner la situation politique, ou les représentations en vigueur dans chacun des camps (du genre CRS=SS …), c’est à dire des formules atones, inertes, contrairement à la virtualité dynamique qui caractérise l’équilibre des forces dans le geste de l’archer ».

C’est pour moi la seconde strophe qui dit le cœur de l’affaire: c’est plutôt tard que tôt que la conscience inspirée dynamitera l’immobilisme des façons de penser et leur réductionnisme, car auparavant, l’esprit du temps contrebalance (retient) la subite révolte. J’ai bien peur qu’aujourd’hui, nous soyons encore très tôt et pourtant bien tard. Rien n’est plus important cependant que de joindre les mains des générations pour qu’elles visent ensemble.

  1. En allemand :

    Erleuchtet
    rammt ein Gewissen
    die hüben und drüben
    gepestete Gleichung,
    
    später als fruh: früher
    hält die Zeit sich die jähe
    rebellische Waage
    
    gans wie du, Sohn,
    meine mit dir pfeilende
    Hand.

    []

Le goût des mots de Françoise Héritier

lundi 21 octobre 2013 § Commentaires fermés sur Le goût des mots de Françoise Héritier § permalink

Ecrire une note de lecture du Goût des mots ne peut viser à attirer l’attention de lecteurs potentiels : ce livre n’en manquera pas. Cela procède d’une nécessité bien plus impérieuse, de quelque chose que ce livre a mis en mouvement et qui ne s’apaisera qu’en tentant de le transmettre à d’autres. Le premier sentiment éprouvé est celui de la jubilation. Paraphrasant Françoise Héritier, on pourrait noter que jubilation est un mot jubilatoire. Mais aussi le faire figurer dans son propre registre des mots possédant des sens secrets (celui qu’elle nous invite à remplir chacun dans les pages à lignes horizontales à la fin du livre tout comme elle a rempli 13 pages du sien) :

Jubilation presse un suc amer et délicieux

Ce qui donc me fait jubiler, c’est que Françoise Héritier, dans son mélange unique d’intelligence analytique et de sentiment, explore le continent que l’irruption de l’écrit a partiellement recouvert dans notre rapport à la langue orale. Exploitant sa connaissance de langues parlées par des cultures ou des personnes ne pratiquant pas l’écriture, elle nous guide dans des pratiques de soi pour nous faire redécouvrir en nous l’enfant qui tente de mettre ensemble la saveur sonore des mots et leur sens partagé par tous. Je n’en dirai pas plus, car je le dirai forcément moins bien qu’elle. Mais je dois dire autre chose. Françoise Héritier note aussi que les techniques auxquelles elle nous invite ont été pratiquées déjà dans l’écriture automatique des surréalistes. Or la lisant, on a l’impression que c’est une blogueuse numérico-oulipienne qui s’est égarée chez Odile Jacob. Viens chez nous lui dirait-on si on osait. Elle y serait tellement chez elle. Et du coup une autre idée surgit. Et si l’écriture numérique, par son mélange des médias, mais aussi par des mécanismes propres au statut du texte lui-même dans la socialité numérique, à cette lecture entre les lignes qu’il invite sans cesse, à ces rebonds incessants où quelqu’un superpose un sens secret et personnel au sens partagé, et par là ouvre à de nouveaux sens, si l’écriture numérique, donc, revenait à une sorte d’état intermédiaire entre le texte et l’oral. Ou plutôt permettait un dépassement de ce qui les sépare dans une nouvelle forme et un nouvel univers, celui du code diraient certains, ou celui d’une poésie qui est à la fois écrite, sonore, spatiale et temporelle.


Geneviève Delaise de Parsival a publié dans Libération du 17 octobre une revue du livre qui en détaille plus le contenu et fait également un parallèle avec Queneau, sans aborder le champ du numérique.

A l’aide ou le rapport W d’Emmanuelle Heidsieck

mercredi 18 septembre 2013 § 1 commentaire § permalink

Couverture d'A l'aide ou le rapport W

Ce n’est pas tous les jours qu’on se retrouve avec une œuvre de fiction qui traite d’un sujet sur lequel on écrit depuis des années des textes de non fiction. Autant dire que ma position est un peu inconfortable pour parler d’A l’aide ou le rapport W d’Emmanuelle Heidsieck, fiction décrivant un nouveau stade de la lutte organisée par des politiques dites publiques contre les actes de don, de générosité ou de partage qui échappent à l’économie monétaire. Mais puisqu’après tout je pratique moi-même la coexistence des genres, pourquoi devrais-je choisir entre un commentaire littéraire et un commentaire politique ?
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Comment va le monde avec toi de Laure Morali

jeudi 5 septembre 2013 § 1 commentaire § permalink

couverture du livre

Laure Morali1 vient de publier Comment va le monde avec toi à la fois en version numérique et en livre papier dans la collection PUBLIE MONDE de publie.net. Le titre de ce livre rappelle celui du documentaire de Raymond Depardon Afriques : comment ça va avec la douleur. Dans les deux cas il s’agit d’une salutation, d’une phrase adressée à celui ou celle qu’on rencontre. Entre Ouessant, où Laure Morali a été en résidence pendant deux mois au Sémaphore de Créac’h, point extrême de la fin des terres bretonnes à l’Ouest, une presqu’île des Côtes de la Mor2 qu’elle a quitté pour s’immerger dans le monde et renaître en quittant le lieu d’une rupture adolescente, les rives du fleuve mer au Québec et les côtes du monde parcourues par son Capitaine d’arrière-grand-père, le vrai personnage du livre, c’est la mer et ce qu’elle fait aux gens, le rythme incessant de sa pulsation qu’elle imprime à leurs vies, la façon dont elle les noie, les lave ou les porte.

Qu’en dire quand on a deux univers, l’un urbain et l’autre montagnard, dans lequel la mer, c’est celle des nuages ? Que ce livre, c’est le chant de quelques personnes et de tous ceux du monde dans leurs relations médiées par la mer. Ce que ce chant nous raconte c’est comment on passe – par la mer – de l’univers rapproché des (presque)-îles à l’ouverture d’un monde qui est au-delà du regard, comment on revient dans les îles et on y retrouve ceux qu’on côtoyait tous les jours, et même les disparus.

Cela se lit à la fois comme un poème et comme un récit. Avec la musique du poème et avec la ligne conductrice du récit et de son tissage de différentes époques. Et puis c’est superbe tout simplement, alors en voici un extrait pour vous emmener vite en lire plus :

J’ai fait un grand feu sur la plage. Ma propre fête du solstice. Tout ce foin qu’on peut faire avec l’amour. J’ai rempli une bouteille de cendres gris-bleu. Je l’ai lancée du dernier roc. Et ce n’est pas du sémaphore ni du phare qu’on allait apercevoir mon signal de fille naufragée dans un poème d’eau de mer. J’ai pensé à toi, Capitaine, mon arrière-grand-père au regard de pampa. J’ai demandé à ce que tu veilles sur mes dérives. Que tu m’apprennes à naviguer aux étoiles.

Vous pouvez aussi écouter Laure Morali en lire quelques extraits. A la salutation du titre, il faut répondre : un peu mieux maintenant.

  1. Laure Morali écrit des poèmes et récits sur son beau blog Les portes. []
  2. La qui sépare la Bretagne de la Grande-Bretagne, avec quelques disputes sur s’il faut l’appeler Manche ou la considérer comme une partie de l’Océan Atlantique. []

Qu’est-ce qui lit en nous ?

dimanche 5 mai 2013 § 2 commentaires § permalink

On venait d’annoncer la mise en place de masters de création littéraire. Dans un entretien avec Macha Séry du Monde, Hélène Merlin-Kajman exprimait sa méfiance à l’égard de l’enseignement de l’écriture littéraire à l’université. Elle avançait divers arguments qui auraient pu constituer d’utiles avertissements sur les écueils à éviter (asservissement de l’écriture à la communication, normalisation des procédés). Seulement, il ne s’agissait visiblement pas d’esquisser ce que devrait être un espace éducatif d’appropriation de l’écriture et de l’opposer aux projets en cours. Elle en critiquait le principe même, défendant pied à pied l’enseignement commentaire de la littérature1, affirmant que « pour écrire il faut avoir été touché par ses lectures ». Apparemment ce point est peu contestable, et pourtant, une fois surmontée ma frustration devant le conservatisme disciplinaire de l’interviewée (elle-même romancière), c’est justement cette affirmation que j’ai décidé de soumettre à l’exercice du doute.
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  1. L’enseignement littéraire et plus généralement artistique restreint au commentaire analytique érudit à l’université a eu certains mérites involontaires : la nature humaine ayant horreur du vide, des espaces d’apprentissage de création se sont développés dans les écoles d’art et dans les ateliers de pratiques plus informels. []

Sur Rideau de verre de Claire Fercak

lundi 11 février 2013 § Commentaires fermés sur Sur Rideau de verre de Claire Fercak § permalink

C’était une journée d’averse de février, le douze

Je n’ai découvert Rideau de verre (paru en 2007) que récemment à l’occasion d’un tweet de Guénaël Boutouillet signalant la magnifique lecture-mise en espace de ce texte1. Il y a un avant et un après avoir lu certains livres. Il y en a peu comme cela, et ce ne sont pas les mêmes pour chacun. Si un livre peut faire cela à quelqu’un, ce n’est pas n’importe quel livre. Je l’ai fini hier, c’était le dix février. Aujourd’hui c’est le onze, la date anniversaire du suicide de Sylvia Plath, l’une des trois femmes qui accompagnent la transmutation par l’écriture de la narratrice. Demain ce sera le douze.

Ecrire la maltraitance d’un enfant, d’une petite fille, sa maladie, c’est presque impossible. Et pourtant ce n’est pas d’avoir pu le faire qui est si remarquable, c’est que ce ne soit au bout du compte pas un livre sur ça. C’est un livre sur la reconstruction d’un être humain et le rôle qu’y tient la volonté de s’affronter à l’énigme insoluble d’un père bourreau. Et puis tout simplement c’est écrit comme on devrait toujours, pas un mot de trop, des procédés lisibles qui fonctionnent dans leur lisibilité même. On aimerait tremblement de la main pouvoir tenir clavier cliquetant de telles lignes d’écriture.

  1. Mise en espace Ismaël Jude
 avec Céline Milliat-­Baumgartner
, création sonore Delphine Chambolle, scénographie Delphine Moniez
, création du Laboratoire des Arts et Philosophies de la Scène (LAPS)

 []

Où suis-je ?

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