atelier de bricolage littéraire

ce serait après
l'ouragan après
les corps indistincts après
nudités sueurs après
beautés imparfaites après
regards aveuglés après
l'ardente soif après
l'arrêt du temps après
ce serait encore là
après

Lueur vive nonobstant
déglinguages nonobstant
alluvions nonobstant
minutes rapides nonobstant
lente lacune nonobstant
chaleur enfin nonobstant
ce que rien nonobstant
n'efface ou calme nonobstant
la musique de vivre
nonobstant

dès la rumeur de l'aube
dès pétarades et feux
dès l'odeur des épices
dès le son de l'eau
dès la brise ventilée
dès le cri du gecko
dès l'espoir fruité
dès nos lèvres

Voir l’explication des versées.

quel vacarme entre
paroles tues entre
attentes murmurées entre
muscles tendus entre
vents sur la peau entre
feuillages bruissants entre
les mains nouées entre
les souffles sanguins entre
les temps irrésolus
entre

Noël Bernard (@noel_talipo sur twitter) a publié sur son site sous le titre abat-jour une versée qui me paraît très aboutie. Je vous invite à la lire dans son environnement original (licence CC-By-NC) mais la reproduis ici pour que chacun puisse accéder à la chronologie des versées.

Abat-jour

l’œil se refermera malgré
la lumière violente malgré
l’abat-jour abaissé malgré
le trop grand désespoir malgré
les machoires serrées malgré
les canines tombées malgré
la puissance des mots malgré
la peur qu’on veut cacher malgré
la chaude brise où l’on s’éteint
malgré

de quoi donc depuis
pas un instant depuis
l'ombre en forêt depuis
ondoyants vertiges depuis
l'herbe du vent depuis
lacs et ruisseaux depuis
la pierre ponce depuis
la peau marquée depuis
ce qui n'a pas de nom
depuis

1

territoire obscur outre
minutes inconstantes outre
cicatrices bleues outre
chaos sonore outre
frayeurs nues outre
impatient espoir outre
soudaines annonces outre
présents inouïs outre
sommations du corps
outre

1. Les « versées » sont de petits poèmes articulés chacun autour d’une préposition (parfois une conjonction se prêtant au même exercice). Ce mot pivot est situé à la même position dans tous les vers : le plus souvent la dernière pour créer ce que Sabine Huynh appelle des poèmes dominos (avec un traitement particulier des deux derniers vers), mais parfois aussi la première ou la deuxième. [↩]

on marchait avec
le sang ténu avec
nos pas rouillés avec
le joug des tendons avec
les nerfs vifs avec
nos gestes muets avec
le soir endigué avec
bruine et froid avec
la ville insistante
avec

assise parmi l'herbe
dos parmi l'ombre
posé parmi genoux
doigts parmi cheveux
poissons parmi reflets
lumière parmi soir venant
tout parmi contre
nous parmi l'attente

plus rien ne comptait hors
l'alchimie liquide hors
les arbres alignés hors
le tremblement du sol hors
les piliers de l'air hors
le vertige cramponné hors
l'instant inépuisable hors
les limites incertaines hors
le prolongement de nous
hors

pendant les minutes arpentées
pendant l'instant rétif
pendant pas encore quoi
pendant le souffle amarré
pendant l'attente ténue
pendant que goutte à goutte
pendant l'ombre échancrée
pendant que bientôt

vers la ruelle incertaine
vers la pluie douce
vers le tremblement léger
vers l'attente vers l'ombre
vers les liens invisibles
vers on ne sait quoi
vers l'entendre silencieux
vers la menace si tendre
vers tout encontre

ils trébuchaient tous sauf
celle qui glissait sauf
que qui donc sauf
lui le devinait sauf
peut-être l'oiseau sauf
l'herbe mouillée sauf
le vent et les feuilles sauf
l'ombre du soir sauf
un murmure de rien sauf
les mots retenus
sauf

ne pas se demander quand
il sera trop tard quand
c'est venu ou reparti quand
on a voulu le saisir quand
la main était poreuse quand
des gouttes coulaient quand
la vie était si forte quand
le temps nous a pris quand
on a pris le temps
quand ?

où l'empreinte du regard ?
où celle de la voix ?
où la trace des mains ?
où le sillon des mots ?
où la marque de l'absence ?
où le murmure ? Où l'onde ?
où le tremblement ?
où la peau ?