Transfuges

lundi 12 septembre 2016 Commentaires fermés sur Transfuges

Ceci est le trente-septième texte de la série Néotopies. Ni histoire, ni prédiction, ces textes accompagnent la naissance des néotopies à la façon d’un contrepoint.


Ils sont dans la voiture 5, pas loin de la tête du train. Dans la lumière du jour finisssant, à l’approche de l’entrée du tunnnel, une légère appréhension saisit les passagers même expérimentés. Se réfugient dans le sommeil, dans le silence, dans un livre ou un film. Lui macère dans. Quoi, la honte ? L’impuissance ?. En tout cas de savoir qu’ils passent à grande vitesse le long de la rocade, pas loin de la jungle. Que bientôt, les anglais vont y construire un mur, comme si c’était eux qui délivraient les permis de construire dans le Pas-de-Calais.

À peine un petit choc. Dans une voiture, on aurait soupçonné un raté du moteur. Puis freinage à bloc. Leurs corps plaqués contre les sièges – les billets pas chers sont toujours dans le sens inverse de la marche – un long sifflement, l’arrêt et puis plus rien. Pas une conversation. C’est déjà arrivé une fois. Au retour. Des personnes s’étaient introduites dans le tunnel avait dit la voix du haut-parleur qui s’excusait du retard et de l’inconvenience mais on allait nous dédommager, c’est sûr. Personne n’avait rien dit. Mais là il y a eu un choc. Et pas d’annonce. Puis finalement si. Une qui dit qu’on est arrêté en pleine voie et de ne pas essayer d’ouvrir les portes. Des bruits de choc assourdis sur les parois. Une vitre fendue. On caillasse le train. C’est là qu’il arrête de penser.

Il se lève, se dirige vers le bout du wagon. Elle a compris qui sait quoi, mais le suit. Il appuye sur le bouton et la porte s’ouvre. Reçoit une pierre sur le bras. Forte douleur. Crie « stop, we are with you ». Les silhouettes s’approchent, veulent monter. « Three only ! » leur dit. Pourquoi trois, il ne saura jamais. Elle lui murmure à l’oreille : « Tu es fou, les autres voyageurs vont nous dénoncer ». Deux jeunes hommes qu’ils imaginent afghans. Et une jeune fille, arabe sans doute. Ils montent. La porte se referme. Un bip, bip retentit semblable à celui d’une pelle mécanique qui recule. Stupeur dans le wagon. « Il faut leur donner d’autres vêtements » dit-elle. Ils ouvrent leurs valises. Un jeune homme propose d’équiper l’un des afghans d’un sweater Abercrombie du plus bel effet. Plus loin, jeunes financiers ambitieux et bons citoyens s’affairent sur leurs portables et tablettes. Personne n’ose la dénonciation téléphonique. Bientôt un vide se crée au milieu du wagon, une minorité hésitante se rassemblant côté des réfugiés et une majorité craintive de l’autre. Remarques narquoises puis invectives à distance. Certains des bons citoyens partent vers la tête de train chercher des contrôleurs, lesquels sont de l’autre côté, ne trouveront que des préposés aux plateaux repas. Mais ça sent le roussi.

Le train parcourt les 53,5 km du tunnel et semble prendre un temps infini. C’est alors qu’ils se rendent compte que les réfugiés ont disparu. Évaporés. Sortie du tunnel. Ils s’attendent à ce que le train s’arrête pour fouilles et arrestations. Mais c’est sur une voie de garage d’Ashford International qu’on les parque. Flics ou militaires avec exosquelettes et armes de guerre tout autour. Les transfuges lèvent prudemment les mains, tout en continuant à fusiller du regard les bons citoyens. Ils sont à l’heure actuelle encore détenus pour interrogatoire et punitions applicables. Pas de nouvelle des réfugiés si ce n’est le communiqué habituel selon lequel aucune personne non autorisée n’est parvenue à entrer au Royaume-Uni par le train.

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