L’Europe est perdue – Kate Tempest

mercredi 15 février 2017 Commentaires fermés sur L’Europe est perdue – Kate Tempest

Je traduis ici ce poème majeur de Kate Tempest, paroles du deuxième titre de l’album Let Them Eat Chaos (7 octobre 2016). Source : Rap Genius.


Dans l’appartement en sous-sol, près des garages
Où les gens jettent leurs vieux matelas
Esther est dans sa cuisine, fait des sandwichs
Les lames de ses stores sont bancales et tordues
On peut la voir de la rue jusqu’à ce qu’elle disparaisse
Pour ôter les bottes de ses pieds fatigués
Elle vient de faire un double poste
Esther est aide familiale, elle fait les nuits
Derrière elle, sur le mur de la cuisine
Il y a une photo noir et blanc d’un vol d’hirondelles
Ses yeux irrités, ses muscles douloureux
Elle ouvre une bière et la boit à grands traits
La tient contre ses lèvres assoiffées
Et l’engloutit d’un coup
Il est 04:18 une fois de plus
Son cerveau est empli de toutes les tâches du jour
Elle sait qu’elle ne dormira pas un instant
Avant que le soleil se lève
Elle s’inquiète du sort du monde cette nuit
Elle s’inquiète toujours
Elle ne sait pas comment elle ferait
Pour s’ôter ce souci de l’esprit

L’Europe est perdue, l’Amérique perdue, Londres perdu
Et nous crions encore victoire
Tout ce qui est insensé règne
Nous n’avons rien appris de l’histoire
Les gens sont morts de leur vivant
Hébétés dans l’éclat des rues
Mais regardez : le trafic ne s’arrête pas
Le système est trop malin pour s’arrêter
Les affaires sont bonnes, et il y a des groupes tous les soirs dans les pubs
Et deux verres pour le prix d’un dans les clubs
Et nous avons tout bien récuré
Décapé le travail et le stress
Et maintenant nous voulons juste un peu d’excès
Ou mieux; une nuit mémorable que nous oublierons aussitôt
Tout le sang qui a coulé pour construire ces villes
Tout les corps qui sont tombés
Les racines qui furent déterrées
Pour qu’on puisse jouer à ces jeux
Je les vois cette nuit dans les taches de mes mains
Les bâtiments hurlent
Je ne peux pas demander d’aide, personne ne me connaît
Hostiles, inquiets, solitaires
Nous nous déplaçons en troupeaux et ce sont nos droits innés de
Travailler et travailler pour pouvoir être tout ce que nous voulons
Puis de danser pour oublier la corvée
Mais même les drogues sont devenues ennuyeuses
Bon, le sexe est toujours bon quand on l’a

Dormir, rêver, garder le rêve à portée
Un rêve pour chacun, ne pleure pas, ne crie pas
Garde-le juste, continue à y dormir
Qu’est-ce ce que je vais faire pour me réveiller ?

Je sens le poids de pousser mon corps
Comme je plonge mes mains dans mes poches, et doucement
Je marche et je le vois, c’est tout ce que nous méritons
Les torts du passé ont refait surface
Malgré tout ce que nous avons fait pour en effacer les traces
Même ma propre langue est contaminée
Par tous les vols faits pour le remplacer par ça
Je suis calme, je sens l’émeute qui vient
Mais les émeutes sont petites et le système immense
Le trafic continue à rouler, prouvant qu’on ne peut rien faire
Le niveau de l’eau monte ! Le niveau de l’eau monte !
Les animaux, les éléphants, les ours polaires meurent !
Arrêtez de pleurez, achetez, mais qu’en est-il de la marée noire ?
Shh, personne n’aime qu’un peu de caca gâche la fête
Massacres, massacres, massacres / de nouvelles chaussures
Des enfants ghéttoïsés assassinés en plein jour
Par ceux dont le métier est de les protéger
Du porno en direct streamé dans les chambres de vos pré-ados
Plafond de verre, pas de dégagement
La moitié d’une génération vit sous le seuil de pauvreté
Oh, mais c’est happy hour pour le business
Enfin c’est vendredi, les gars, mon cadeau !
Ça allait jusqu’à ce qu’on assomme ce jeune à coup de bouteille dans le dernier bar
L’endroit devint cinglé, vous pouvez demander à notre Lou1
C’était de la folie, la rue dégoulinant de rouge, du pur bordeaux
Et les immigrants ? Je ne peux pas les sentir
Pour l’essentiel, je m’occupe de ce qui me regarde
Ils viennent ici seulement pour devenir riches, c’est une maladie
Angleterre ! Angleterre ! Patriotisme !
Et ça vous étonne que les jeunes veulent mourir pour la religion ?
Ça marche comme ça, travaillez toute votre vie pour une misère
Peut-être tu deviendras chef, prie pour avoir une augmentation
Barre les jours gris sur ton calendrier de pin-ups
Les anarchistes cherchent désespérément quelque chose à casser
Photos scandaleuses de rappers à la mode
Dans les magazines chics, qui couche avec qui ?
De l’argent politicard dans une enveloppe
Pris en train de sniffer des lignes sur les seins prothétiques d’une prostituée
Maintenant c’est retour à la chambre des Lords avec des menottes
Ils enlèvent des enfants et baisent des têtes de porc
Mais lui dans un sweat à capuche avec quelques primes
Mettez-le en tôle, c’est un criminel !
Mettez-le en tôle, c’est un criminel !
C’est la génération des LassésDeTout
Le produit du placement de produits et de la manipulation
Tuez-les, brutalement, c’est votre devoir
Allez, nouvelles chaussures, beaux cheveux, conneries !
Des ballades sirupeuses et des selfies, et des selfies et des selfies
Et là c’est moi devant le palais de MOI !
Construisez votre moi et votre psychose
Pendant ce temps les gens mouraient dans leurs hordes
Et non, personne n’a remarqué; bon, certains ont remarqué
Ça se voyait aux émoticônes qu’ils postaient

Dors comme si une main gantée couvrait tes yeux
Les lumières sont si belles et brillantes, rêve
Mais certains d’entre nous sont coincés comme des pierres dans le sillage
Qu’est-ce que je vais faire pour me réveiller ?

Nous sommes perdus, nous sommes perdus, nous sommes perdus
Et malgré tout rien, ne s’arrête, rien ne s’interrompt
Nous avons des ambitions, des amitiés, des séductions à quoi penser
Des perspectives de divorces à noyer dans la boisson
L’argent, l’argent, le pétrole
La planète tremble et s’abîme
Et la vie est un jouet
Un vêtement à salir
Le labeur, le labeur
Je ne vois aucune perspective
Juste la fin
Est-ce quelque chose à chérir ?
Quand tous les hommes premiers sont morts dans leurs déserts
Pour faire la place à des structures étrangères
Dévéloppement ! Développement !
Et tuez ce que vous trouvez si cela vous menace
Il n’y a pas trace d’amour dans la chasse au fric
Ici dans le pays où personne n’en a rien à foutre

  1. L’Urban dctionary a tellement d’acceptions pour Lou que je vous laisse choisir votre interprétation préférée. []

Comments are closed.

meta