En amots – Anne-Charlotte Chéron

vendredi 2 août 2013 Commentaires fermés sur En amots – Anne-Charlotte Chéron

Au seuil

Prendre le pli du dénivelé et des sommets, moi qui ne possède qu’un pied marin et alors que l’autre est vissé au ciment.

S’obstiner à vouloir mettre un « e » aux adjectifs attelant à l’horizon, comme si l’avenir découvert à perte de vue ne pouvait être qu’une femme
.

Les lacs en vrac et à découvrir en hauteur : bleu, vert, d’Aygue Rouye, d’Ourrec, de l’œuf, d’Arizes, d’Artigues, de Peyrelade, d’Arou, de Montarrouye, d’Oncet, d’Aouda, de Lahude, de Caderolles, de Gréziolles, de Campana, de Montaigu, de Payolle, de Cloutou, de Binaros inférieur, supérieur et plus loin de Bastampe.

Gravir dans le faux jour

À l’orée, dans le très tôt, avant l’étouffante, le plombage ensoleillé, partir pour gravir.

Lac de Bastampe

Gagner le havre

C’est un lac perché, une entrée aquatique, un refuge encaissé, un abri qui prend la pierre, les pans de roche y dévalent à la sortie de l’hiver, dans l’affalement des dernières congères. Parmi le chaos caillouteux, quelques myrtilliers, puis des bruyères sauvages ou peut-être des branches desséchées et arrangées en bataille.
Des arbres se disputent l’étroitesse d’un territoire à la dérive.
C’est un bateau arboré à la merci des hauteurs, un château dans le ciel, un qui passe et outrepasse les règles du savoir-vivre / être / dire / écrire / faire / aimer / bâtir / décliner / lire / manger / mourir / peindre / rire. Un qui manque aux obligations d’un faire-savoir ou croire. Un qui ne persuade pas. Un qui navigue à vue. C’est tous les navires qui racontent à quelques détails près l’histoire des tutti quanti traversiers.

Motif du gravissement

Pourquoi s’enquérir du sommet ? Pourquoi l’ivresse des hauteurs ? Pourquoi monter pour redescendre ? Pourquoi voler le feu aux Dieux ? Pourquoi contempler ? Pourquoi se réfugier ? Pourquoi s’isoler ? Pourquoi l’attrait pour les éminences ? Pourquoi persévérer quand le pied ou le genou cède ? Pourquoi la saine fatigue ? Pourquoi remonter ? Pourquoi gravir ? Pourquoi relever l’âme après la chute ? Pourquoi le souffle en peine ? Pourquoi la nécessité des espaces infinis ? Pourquoi le culte de l’horizon ? Pourquoi s’abandonner au dénivelé ? Pourquoi feindre le sourire dans l’effort pour le souvenir ? Pourquoi s’amarrer à la cime ? Pourquoi y aborder son étendard ? Pourquoi collectionner des preuves de mises à l’épreuve ? Pourquoi endurer ? Pourquoi le corps à emporter ? Pourquoi brûler la peau ? Pourquoi soutenir l’amont ? Pourquoi la monotonie de l’aval ? Pourquoi les mêmes chemins cadenassés ? Pourquoi le drame du pittoresque ? Pourquoi les randonnées organisées ?  Pourquoi ne pas se contenter des talus, buttes, monticules, collines, mottes, mamelon, dunes, bosses, montagnettes ? Pourquoi prendre de haut le territoire ?

Gravir comme exceller

Fantasme paternel avec l’excès de détermination qui incombe à l’absence de qualités naturelles qui me caractérisait.
Quel que soit le passage à emprunter, si tant est qu’elle fut respectable, il ne fallait pas faire bien, il fallait faire mieux. Défier les obstacles, valider les étapes, ne pas se plaindre, perdurer, avancer, s’élever, conquérir, succéder honorablement.
Ici où le mieux n’est pas l’ennemi du bien.

Gravir et se perdre

Désirer sortir des sentiers battus à gravir.
« Débaliser » les horizons.
Se perdre.
Se perdre c’est venir à nouveau. C’est emprunter quatre ou cinq fois la même voie, c’est revoir ses pas sur le chemin, c’est apprendre pas cœur les lieux dans l’errance.

palombière

Aux gravisseurs

Petite palombière au sol, haussée de cinq pas, où il m’est déjà difficile de supporter le vertige, alors qu’il y a quatre ans, je plongeais mon corps au départ de la pointe de la tour de Macao dans 233 mètres à pic.

Mots et amonts

Ne pas caresser les mots
.
Avancer, grimper, ne pas se précipiter. 

On n’est jamais trop surpris.
Tout ce qui est à prendre au pied de la lettre et des élévations.
Je suis allée au désespoir dans cette période où me suis vue tenter de gravir l’écrit.
C’est quand la suite ?
À quoi bon chercher quand l’oubli finalise tout ?
Faire le vœu qu’un jour, il soit possible de voyager léger.
Endommager la sous-face du pied et de la langue, ne plus faire beau.

Texte : Anne-Charlotte Chéron
Photographies : Philippe Aigrain

C’est lors d’autres vases communicants que j’ai commencé à suivre les écrits d’Anne-Charlotte Chéron. Elle avait commenté le texte de Cécile Portier que j’accueillais dans l’atelier, y lisant avec justesse un manifeste. Nous nous sommes plus tard découvert une commune terre d’accueil (une partie de l’année seulement pour moi), la Bigorre, dans deux parties différentes, proches et distantes comme peuvent l’être deux vallées de montagne. Anne-Charlotte a proposé que nous construisions cet échange à partir de ces lieux et du mot « Gravir ». Je suis très fier d’accueillir son texte ici, sa sensibilité, son exigence, cette capacité de remonter à partir du détail perçu à toute la profondeur de la vie. Anne-Charlotte a travaillé dans l’édition mais aussi à Reporters sans frontière. Elle accueille avec générosité mon texte sur son blog En marge(s) & blancs tournants.

Comme chaque mois, grâce au généreux travail de Brigitte Célérier, vous avez accès à la liste des vases communicants.

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