Le goût des mots de Françoise Héritier

lundi 21 octobre 2013 Commentaires fermés sur Le goût des mots de Françoise Héritier

Ecrire une note de lecture du Goût des mots ne peut viser à attirer l’attention de lecteurs potentiels : ce livre n’en manquera pas. Cela procède d’une nécessité bien plus impérieuse, de quelque chose que ce livre a mis en mouvement et qui ne s’apaisera qu’en tentant de le transmettre à d’autres. Le premier sentiment éprouvé est celui de la jubilation. Paraphrasant Françoise Héritier, on pourrait noter que jubilation est un mot jubilatoire. Mais aussi le faire figurer dans son propre registre des mots possédant des sens secrets (celui qu’elle nous invite à remplir chacun dans les pages à lignes horizontales à la fin du livre tout comme elle a rempli 13 pages du sien) :

Jubilation presse un suc amer et délicieux

Ce qui donc me fait jubiler, c’est que Françoise Héritier, dans son mélange unique d’intelligence analytique et de sentiment, explore le continent que l’irruption de l’écrit a partiellement recouvert dans notre rapport à la langue orale. Exploitant sa connaissance de langues parlées par des cultures ou des personnes ne pratiquant pas l’écriture, elle nous guide dans des pratiques de soi pour nous faire redécouvrir en nous l’enfant qui tente de mettre ensemble la saveur sonore des mots et leur sens partagé par tous. Je n’en dirai pas plus, car je le dirai forcément moins bien qu’elle. Mais je dois dire autre chose. Françoise Héritier note aussi que les techniques auxquelles elle nous invite ont été pratiquées déjà dans l’écriture automatique des surréalistes. Or la lisant, on a l’impression que c’est une blogueuse numérico-oulipienne qui s’est égarée chez Odile Jacob. Viens chez nous lui dirait-on si on osait. Elle y serait tellement chez elle. Et du coup une autre idée surgit. Et si l’écriture numérique, par son mélange des médias, mais aussi par des mécanismes propres au statut du texte lui-même dans la socialité numérique, à cette lecture entre les lignes qu’il invite sans cesse, à ces rebonds incessants où quelqu’un superpose un sens secret et personnel au sens partagé, et par là ouvre à de nouveaux sens, si l’écriture numérique, donc, revenait à une sorte d’état intermédiaire entre le texte et l’oral. Ou plutôt permettait un dépassement de ce qui les sépare dans une nouvelle forme et un nouvel univers, celui du code diraient certains, ou celui d’une poésie qui est à la fois écrite, sonore, spatiale et temporelle.


Geneviève Delaise de Parsival a publié dans Libération du 17 octobre une revue du livre qui en détaille plus le contenu et fait également un parallèle avec Queneau, sans aborder le champ du numérique.

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