Illuminée, une conscience défonce l'équation de part et d'autre frappée de peste plus tard que tôt : plus tôt le temps retient la brutale balance rebelle, tout comme toi, fils, retiens ma main d'archer qui vise avec toi.
Paul Celan écrivit ce poème le 31 mai 1968, soit le lendemain de la manifestation aux Champs-Élysées pour la restauration de l’ordre gaulliste. Le poème est adressé à son fils Eric qui allait avoir 13 ans. « L’équation évoquée dans la première strophe » dit le traducteur1 et annotateur Jean-Pierre Lefebvre « peut concerner la situation politique, ou les représentations en vigueur dans chacun des camps (du genre CRS=SS …), c’est à dire des formules atones, inertes, contrairement à la virtualité dynamique qui caractérise l’équilibre des forces dans le geste de l’archer ».
C’est pour moi la seconde strophe qui dit le cœur de l’affaire: c’est plutôt tard que tôt que la conscience inspirée dynamitera l’immobilisme des façons de penser et leur réductionnisme, car auparavant, l’esprit du temps contrebalance (retient) la subite révolte. J’ai bien peur qu’aujourd’hui, nous soyons encore très tôt et pourtant bien tard. Rien n’est plus important cependant que de joindre les mains des générations pour qu’elles visent ensemble.
- En allemand :
Erleuchtet rammt ein Gewissen die hüben und drüben gepestete Gleichung, später als fruh: früher hält die Zeit sich die jähe rebellische Waage gans wie du, Sohn, meine mit dir pfeilende Hand.
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