Ancre
Oh mon amour, qui m'aima Sans détour Avec la délicatesse D'un cœur touché, Dont les épaules M'ont protégée, Dont l'attention M'a déchirée, Faisant surgir des sources de larmes, Coulant de fissures Longtemps scellées et douloureuses, Sur de douces nouvelles surfaces — La lenteur qui calmait la peur, L'honnêteté qui protégeait, L'ironie légère qui remettait d'aplomb, Le choix des mots qui me gravaient Moi irréparable. T'arracher/M'arracher de mon cœur Est un prix que je n'avais Pas prévu de payer. Je le dis donc ici : Cette douleur, ce jour, Tout ton désentrelacement tranquille Finalement ne m'épargne pas du tout. Le mal de t'aimer Demeure, une ancre sombre, Témoin de délices passés Sombrant à nouveau au fond.
Texte original
Oh, love, who loved me Straight on With the delicacy Of a heart touched, Whose shoulders Shielded me, Whose care Tore me apart, Brought Springs of tears, Emptying out of crevices Long sealed and aching, To soft new surfaces— Slowness that soothed fear, Honesty that protected, Wryness that gave balance, Choice of words that imprinted Me beyond repair. Tearing you/me out of my heart Is a price I hadn't Planned to pay. And so here I say: This pain, this day, All your quiet disentwining Finally spares me not at all. The ache of loving you Remains, a dark anchor, Testimony to past delight Now sinking back under.
Dans la pièce dédiée à la poésie à City Light Books, la librairie historique de Lawrence Ferlinghetti, il y a un rayonnage spécifique pour les poètes de la Beat generation. On y trouve quelques livres de Michael McClure, dont les poèmes spatialisés sont merveilleux. Mais de celle qui fut sa femme, Joanna McClure, on ne trouvera les poèmes que dans le grand classement alphabétique qui emplit le reste de la pièce. Dans le rayon des Beats, on ne trouve je crois pas une femme. Pour mesurer l’injustice, on se reportera à cet article. Joanna McClure affirmait : « No, I have no desire to publish. It’s interesting to read the new authors’ writing that is appearing, but publication is not for me… Maybe someday… »1. J’imagine qu’un demi-siècle plus tard, elle les aurait peut-être rendus lisibles sur le Web. Ou peut-être pas. Toujours est-il qu’enfin, une vaste sélection de ses poèmes a été publiée sous le titre : Catching Light, collected poems of Joanna McClure 2. Joanna McClure, merveilleuse poète dont les vers brefs et libres vont droits au cœur, poète du quotidien et du sensible, n’a toujours pas une page sur le Wikipedia anglophone, ni aucune traduction en français. Je me suis donc permis de tenter de traduire un de ses poèmes. La traduction de la première strophe doit beaucoup à une suggestion de Sabine Huynh pour laquelle je lui suis très reconnaissant.
- Date inconnue, cité par Michael McClure dans la préface à l’édition des « collected poems », voir note suivante. [↩]
- The Io Poetry Series, North Atlantic Books, Berkeley, 2013, avec une préface de Michael McClure. [↩]
Beau poème dans sa simplicité « ancrée ».
Vous avez eu raison de le dénicher et de le traduire ainsi.