Les hommes-creux habitent dans la pierre, ils y circulent comme des cavernes voyageuses. Dans la glace, ils se promènent comme des bulles en forme d’hommes. Mais dans l’air, ils ne s’aventurent, car le vent les emporterait.
René Daumal, Histoire des hommes creux et de la rose amère, Cahiers du Sud n°239, 1941.
on n'est jamais au dehorsni de soi ni du mondetout au plus déplace-t-onla focale et l'angle de nos regardsen se rapprochant de la montagnec'est d'abord la focale qui changeles distances s'agrandissentle temps s'allongeen venantles déplacements deviennent plus lentsdeux heures de fusée ferroviairepuis une ralentietrois heures d'autocarsinuant de gare en gareil remplace le TER annulépour cause de travauxquatre-vingt minutes de bus là oùjamais train ne fut bâtiune heure de taxidans les gorges fortifiéesle temps de la montagnela marche est son horlogeles grandes enjambées du bergercherchant une bête égaréeou les pas glissés des skieurssur la neigele temps de la montagnese compte en jours et égrène les minutes* * *la vie en Haute-Ubaye a toujours été dureon la fuyait au loinveiller aux randonneurs est-il moins rudequ'hier aux bêtesmême si aujourd'hui on ne garde plusle pain sec cent jourspour les mois de famineoù deux jours de cave humide le rendaient presque mangeableun chevreuil solitaire nous accueilleindifférentil broute parmi les crocusmauves et blancsà notre approche il se déplacede dix pas dédaigneuxchemin dans les mélèzescomme une allée princièreles rêves icisurvivent au réveilleur harmonie conversantepose son baumesur la maladressede nos motsmarchant on poursuit ces conversationssilencieusesregard posé sur un éboulissurgit l'image d'un visage familier ou oubliédans la bergerie supérieure de Maryouverte au passantquatre couchages, huit sièges, une tabletant d'attentionssur les planches du sous-toitdes dessins d'enfants ou de plus grandscent peut-êtretémoins d'instants heureux* * *c'est par temps nuageuxet monts visiblesque la montagne nous parlele plus clairviens icije te montre mes splendeurspasses-ymais ne crois pas y habiterl'altitude était rudemais ses alpages précieuxgrandes maisons de Fouillouzeest-ce un hameau ou une ville ?qui peut imaginer les effortspour bâtir le pont qui y mène* * *casemates partoutun millénaire de guerresmais aucune frontièresur la carte de Bruno Losanonous voici en Valle Sturaà Sambuco, le sureauruines comme bombardéesdu hameau de Grangedétruit par les françaisse retiranten représailles imbéciles à d'autres destructionscertes plus meurtrières* * *là commence le vallon Pruriactorrent en baspuis toboggan sinueuxde courbes neigeusesdiverses joubarbes dans les préset celle des montagnes sur les crètes de Ferrère* * *au-dessus des bains de Vinadioroute ouverteentre les murs de neigehauts de six mètreselle se venge bientôten lourds floconséphémère manteaupour les prés d'alpage* * *montée dans les arbresau-dessus d'Argenteraciel gris, troncs des mélèzesneige fraîchetout se fond en une image monochromecomme les photos de Jean Gaumy* * *le cercle chaleureux de l'amitiéet la tendre douceur d'amouront beau graver leurs talismanssi quand il est temps de descendreles affaires du mondesoufflent des vents inquietsrien ne sert de les ignorermieux vaut les encercler de notre ronde
Quelques notes :
- De 1912 à 1933, 125 millions de francs de ces époques furent dépensés pour bâtir 22 des 33 kilomètres nécessaires pour rejoindre Barcelonnette par train, avant que le chantier ne soit abandonné. Barcelonnette resta la seule sous-préfecture qui ne fut jamais desservie par le train.
- Le petit village d’Espinasses, près du barrage de Serre-Ponçon, est un haut lieu des fresques, graffitis et tags.
- Bruno Rosano édite de merveilleuses cartes et guides de son Val Maira natal, limitrophe de la Haute Ubaye et de la Valle Stura.
- La Valle Stura de Demonte (Val d’Estura en occitan) appartenait au royaume de Savoie puis à celui du Piémont et enfin à l’Italie. Les troupes françaises l’occupèrent à la fin de la deuxième guerre mondiale, puis s’en retirèrent sous pression des alliés.
- Jean Gaumy a publié sous le titre D’après Nature (Ed. Xavier Barral) un extraordinaire livre de photographies de paysages montagnards du Piémont. On y trouve également le texte de René Daumal dont un extrait introduit ce billet.