ZAC

mercredi 29 octobre 2014 § 1 commentaire

Ceci est le vingt-cinquième texte de la série Vacance. Ni histoire, ni prédiction, ces textes accompagnent la naissance des néotopies à la façon d’un contrepoint.


Tout le monde a l’œil fixé sur les ZAD, les zones à défendre. On a même commencé à en dresser une carte, où les petits points rouges se multiplient, avec des effets géographiques surprenants comme le déplacement du plateau de Mille-Vaches dans le Nord où il anime la lutte contre la construction d’une usine laitière concentrationnaire clean. Tout cela n’est que le symptôme d’une éruption plus diffuse. Un magma brûlant déborde dans le Tarn où l’obsession aménageuse des conseillers généraux et la crispation autoritaire qui règne au sommet de l’État ont fait une victime. Mais ce magma circule dans des veines invisibles sur tout le territoire, dans nos corps mêmes. Pour une ZAD, il y a des centaines de ZAC, des zones à construire.

Une ZAC, ce peut être un compartiment de notre esprit où nous construisons et protégeons une façon de penser ou rêver. Ce peut être un recoin de notre emploi du temps, une façon de se rencontrer. Une obligation qu’on se fait de parler au moins une fois par jour à un inconnu dans la rue, un usage inhabituel d’un lieu dont on fait un rituel, un espace numérique qu’on habite à plusieurs, le délicieux plaisir de détruire un peu de fausse valeur, le don d’un peu de temps justement quand on n’en a pas. Les ZAC n’attaquent rien, elles érodent la performance, l’atteinte des objectifs, la croissance, la compétitivité. Elles créent de l’inutile et détruisent de l’insignifiant. Les ZAC sont difficiles à réprimer. Comment peut-on les disperser alors qu’elles le sont déjà ?

Au ministère des affaires domestiques, on a quand même créé une brigade secrète financée sur les fonds secrets d’un partenariat public privé. Avec ces fanatiques de la transparence qui ont commencé à mettre leur nez dans les budgets, c’est ça qui marche le mieux. Une redevance un peu gonflée pour un gros équipement et on a une ligne où puiser en cas d’urgence. La mission de la brigade était de tester des remèdes pour remettre les adeptes des ZAC dans le droit chemin. On a mobilisé des vrais spécialistes du dressage en douceur. Des qui avaient transformés des naïfs généreux en cyniques et des projets de partage en prédateurs voraces sans même qu’ils s’en rendent compte.

Les pontes du ministère n’arrivent pas à comprendre ce qui déconne. Bien sûr ils s’attendaient au taux habituel d’agents tombant amoureux de leurs cibles. Mais là c’est pire, on ne sait même pas ce qui leur arrive. Ils commencent par s’intégrer en douceur. Et ils oublient complètement pourquoi ils sont là. Au rapport hebdomadaire, ils donnent l’impression d’être décervelés. Le ministère a mis en place une stratégie de corruption onctueuse, avec des subventions à la professionnalisation des pratiques. Mais les ZACistes engrangent les subventions et l’effet de professionnalisation est indiscernable.

Dans certains cas où les agents ont cru bon de prendre des initiatives en perturbant le fonctionnement des groupes concernés, le ministère a observé des effets très préoccupants. Soumis à des pressions agressives ou chaotiques, les ZAC se transforment en ZAD. Aux dernières nouvelles, le ministère en est revenu à une stratégie de confinement. Mais on ne sait plus trop qui confine qui.

§ une réponse à ZAC

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