Zones d’autodéfense lexicale

dimanche 25 janvier 2015 Commentaires fermés sur Zones d’autodéfense lexicale

On a d’abord essayé de libérer toute la langue, mais c’est trop dur. L’entre les langues est attirant, mais pas à la portée de certains. Alors on a décidé d’adopter des mots. Juste quelques-uns, mais bien choisis. Ceux là, on ne les lâchera pas. Il y a deux sortes de zones d’autodéfense lexicale, celles des mots qu’on ne laissera pas salir et celles des mots qu’on ne laissera pas passer en douce.

Les deux premiers, ce sont radicalisation et peuplement. Ensemble curieusement. L’un sans doute étant censé compenser l’autre. Se radicaliser, c’est revenir à la racine, à l’essence de quelque chose. Ce genre de mot, quand il fait son irruption dans le discours politique pour désigner ce qu’on veut éradiquer, c’est par effraction. Pas comme terme juridique dans le code pénal. Non, il se loge dans les exposés des motifs, dans les études d’impact, dans des justificatifs d’amendements pour rendre un texte pire qu’avant. Pour faire passer la pilule, ils ajoutent parfois « violente ». Mais d’autres fois se gardent bien de le préciser. Parce que c’est vraiment après la radicalisation qu’ils en ont. Ce qui est fâcheux, vu que nous, on en a besoin, de se radicaliser. Et vite. En plus, nous avons quelque chose de plus difficile à faire : comprendre ce qu’il y a d’humain et de politique chez ces criminels qui sont nos enfants et savoir agir en commun avec ceux oh combien plus nombreux que nous avons également maltraités et qui ont fait avec, jour après jour, sans que nous sachions comment.

On n’a même pas eu le temps de s’y mettre qu’on s’est pris le peuplement (politique de). Le peuplement, c’est compliqué. Un mot tout seul n’est jamais méchant. C’est juste la façon de le dire, de l’assembler avec d’autres. Quand les botanistes et les théoriciens de l’évolution étudient le peuplement en espèces de tel ou tel territoire ou décryptent l’aventure humaine du peuplement des îles du Pacifique, c’est passionnant. Il y a bien quelques destructions d’espèces au passage, mais rien qui ressemble aux génocides qui ont accompagné le peuplement de territoires qu’on avait considéré comme vides parce qu’on n’y reconnaissait pas comme humains ceux qui les habitaient. Les Amériques, l’Australie, le Congo et tant d’autres. Bien sûr ce n’est pas ça qu’ils veulent dire. La politique de peuplement ne prévoit aucun génocide dans les banlieues. Elle constate juste qu’il y a trop de pauvres chez les pauvres, trop de pas pareils chez les pas pareils. C’est mauvais pour eux cet entre-soi, et ça les pousse à la radicalisation. Il faut mettre un terme à la ségrégation géographique en créant des quotas de population comme à Singapour. Ségrégation, relégation, on ne s’est pas privé de les dénoncer aussi, même si on ne disait pas apartheid parce qu’il faut toujours en garder pour le pire. On voit bien qu’il y en a qui voudraient faire pire que la politique de peuplement, forcer les gens à dire merci. Alors pourquoi ce malaise ? Parce que la politique du peuplement, ce sont des technocrates qui déplacent des populations comme des soldats de plomb sur les cartes de territoires fantasmatiques. Ce qui se cache derrière la politique du peuplement, c’est la négation des êtres humains qui sont censés en être les bénéficiaires, la négation de ce qu’ils sont des citoyens ou devraient être reconnus comme tels. Qu’il faudrait écouter ce qu’ils ont à dire sur où ils voudraient vivre et avec qui, histoire de voir1. Tiens donc, d’où vient donc cette expression de politique de peuplement? On a cherché et on a fini par trouver ceci qui l’explique :

Dans la politique française, ces variables s’articulent selon une combinaison inverse. Bien qu’elle s’inscrive dans un cadre juridique censé ignorer toute distinction ethnique ou raciale, la rénovation urbaine est justifiée, par ses promoteurs nationaux et nombre de ses acteurs locaux, par les « dangers » que l’ethnicisation de certains quartiers ferait peser sur l’intégration des minorités, sur leur coexistence avec les habitants du groupe majoritaire et sur la cohésion de la société dans son ensemble. Derrière un vocabulaire d’apparence classiste, dessiner un horizon de mixité « sociale » pour les quartiers de minorités correspond dès lors à un objectif de rééquilibrage de leur composition ethno-raciale ; telle était du moins la perspective adoptée par une partie des acteurs, notamment les élus locaux, au démarrage des opérations à la rénovation urbaine. En sens inverse, aucune stratégie n’est identifiable, dans le contexte français, pour faciliter l’accès des minorités aux quartiers d’où elles sont refoulées à cause des barrières discrètes de la discrimination ou du droit des sols.

  1. Dans cet entretien dans le JDD, Manuel Valls déclare : « Cela implique un dialogue franc, une parole vraie, de la part de ceux et celles qui mettent en oeuvre ces politiques comme de ceux qui doivent en bénéficier ». Mais qui donc, en dernier ressort, décide-t-il si une parole est vraie ? []

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