29. …et repelotes

samedi 3 octobre 2015 Commentaires fermés sur 29. …et repelotes

Ceci est le vingt-neuxième texte de la série Néotopies. Ni histoire, ni prédiction, ces textes accompagnent la naissance des néotopies à la façon d’un contrepoint.


Trois ans après, on se demande où on en est côté pelotes. Des copains ont essayé de démêler une très grosse pelote qu’on appelle la dette. Faut dire que ça faisait un sacré moment qu’elle les étranglait, leur serrait le ventre, leur comprimait les neurones et que son système leur portait sur le système si vous voyez ce que je veux dire. Ils ont commencé par tirer sur un fil qui sortait d’une maison appelée pouvoir politique. Des mecs négligents l’avaient laissé traîner à portée, attaché à une poignée de suffrage proportionnel. En plus un peu partout, les locataires habituels de la maison ont réussi à se rendre si dégoûtants que d’ouvrir la fenêtre sur l’inconnu fait entrer de l’air frais. Et puis ils ont grillé la politesse à des trop connus qui attendent pour entrer. Une fois entrés dans la maison, en tirant sur ce fil, ils se sont rendus compte qu’à l’autre bout, il y avait une machine énorme, qu’ils ont pris au début pour un serreur de pelotes géant. En tout cas ils sont tout emmêlés dedans et nous pareil. En plus, il y avait une pelote cachée dans la maison politique qui leur a tout entortillé les neurones avec des pensées qui n’étaient pas d’eux.

Chez nous, il y en a qui croient que le grand serreur de pelotes s’appelle austérité. Mais l’austérité, c’est juste un tout petit serreur de pelotes auxiliaire, bien utile tout de même pour que chaque fois qu’on tire sur un fil, ça fasse un nœud. En fait il n’y a pas un unique serreur de pelotes géant qu’il suffirait de casser. C’est plein de serreurs qui nous ligotent. Il y a le serreur qui compte tout en monnaie, et puis si jamais on arrive à le saboter pour un moment, il y a le serreur qui compte tout tout court. Et puis le serreur qui fait en sorte que rien n’est à toi tout est à eux : les textes que tu lis, la musique que tu écoutes, les graines que tu sèmes et celles que tu récoltes, ton argent même, crois plus que tu peux l’avoir en billets et en pièces, non c’est une information dans une usine à serrer les pelotes qu’on appelle banque, et cette information, elle est à eux, enfin à la banque. D’ailleurs c’est la banque qui emprunte, mais c’est ton nom sur la reconnaissance de dette, c’est toi qui rembourse. Et comme tu peux pas, il y a une autre pelote qui se ramène avec ses propres manivelles pour serrer les pelotes : l’expulsion ou la quête sans fin d’un truc qu’il n’y a pas. Il y a des endroits où ils ont serré les pelotes avec des bombes, des fusils-mitrailleurs, des tortures sans fin et des alternatives genre qu’est-ce que tu préfères le baril de TNT où la décapitation. Alors les gens sont partis, beaucoup, tous ceux qui pouvaient, de là, mais aussi d’endroits où c’est en notre nom que la guerre se fait avec ses dommages collatéraux et tous les autres morts dont on ne saura jamais s’ils étaient collatériaux ou pas. Là où ils arrivent on dit que les pelotes c’est à cause d’eux, qu’il faut des fils barbelés, des clôtures de dizaines de kilomètres là où il n’y avait rien à clôturer. Pourtant quand on les voit beaucoup les aident, donc on les cache vite fait mal fait pour leur bien, par humanité en attendant qu’ils puissent exercer leur droit fondamental à être renvoyé chez eux s’ils s’emmêlent dans le serreur de pelotes qu’on appelle le cas par cas.

Ça a l’air de pas aller terrible, mais en fait on progresse. On a arrêté de chercher un bout de fil qui ait l’air d’avoir du mou et d’essayer de tout démêler à partir de là. On part de n’importe où, on tire et dès que ça bloque on coupe. Au début ça change pas grand chose, on est toujours ligoté. Enfin, ça fait du bien tout de même. Les fils coupés ils continuent à remuer, c’est un peu inquiétant, ils gigotent dans tous les sens. Mais parfois, il y a comme un espace libéré, avec un tapis de fils coupés. Va falloir qu’on voit comment recycler tout ça. On ne sait pas toujours comment occuper ce terrain. On y plante un peu, on y laisse pousser ce qui veut bien. On y construit des trucs à fabriquer des machins dont on n’est pas trop sûr d’à quoi ils servent mais tout le monde peut s’en servir. On s’y aime, comment ferait-on autrement, ça fait des délices et de nouvelles cicatrices. Des fois, une ancienne cicatrice se réveille au hasard d’une rencontre dans un espace désemmêlé. On y parle beaucoup. On ne parvient plus à dormir à force de ressasser tout ce qu’il faudrait dire et qui nous paraît un peu plus clair dans le grincement de nos neurones nocturnes. On y écrit des textes cachés pour les historiens du futur. On se demande si on est un peuple et d’où il serait ce peuple, et s’il y en a plusieurs, qu’est-ce qui se passera entre eux.

Comments are closed.

meta