31. Élucidation

mardi 15 décembre 2015 Commentaires fermés sur 31. Élucidation

Ceci est le trente-et-unième texte de la série Néotopies. Ni histoire, ni prédiction, ces textes accompagnent la naissance des néotopies à la façon d’un contrepoint.


C’est un temps de chaos et de soudaine clarté. De partout surgissent de lumineuses analyses. On en lit plusieurs, tombe d’accord avec chacune. Leurs constats sont d’ailleurs convergents, mais leurs conclusions diffèrent du tout au tout. On ressort donc de ces lectures avec l’étrange sentiment de mieux comprendre le monde et d’y être pourtant encore plus impuissant, écartelé entre diverses quêtes de l’agir, différentes trajectoires pour retrouver des degrés de liberté, rouvrir des possibles, desserrer ce qui nous ligote.

Ce sur quoi on est d’accord, c’est qu’il y a des serreurs de pelotes économiques, techniques, juridiques et militaires à l’échelle de la planète, qui se renforcent mutuellement. Chacun fonctionne comme un drone social dont les opérateurs sont des prêtres d’un culte particulier et dont le centre de décision est hors de portée du commun des mortels. Concepteurs et prêtres vivent dans des bulles différentes, l’une d’extraterritorialité luxueuse, l’autre d’aveuglement dogmatique. Concepteurs et prêtres sont placés à distance des effets des politiques qu’ils conduisent, jusqu’au moment où ces effets prennent la forme du chaos et de la barbarie, qu’ils imputent alors à une application insuffisante de leurs remèdes ou à l’action des forces du mal absolu. Cet isolement explique la non-apparition de ce qui fut dans l’histoire une ressource fondamentale pour les changements radicaux : les transfuges issus du monde ancien venant rejoindre le camp des néotopistes. Cela complique également l’activité des défecteurs.

Face à cette situation, ça part dans toutes les directions. Du côté des pessimistes (ou réalistes selon vos propres penchants), on nous propose de créer des réseaux diffus de communautés organisant notre survie physique et morale pour semer des petites graines susceptibles de regermer lorsque finira l’âge des ténèbres. L’accès aux terres cultivables y est le fondement de l’autonomie pendant le grand désastre. Au passage, ils développent une critique assez acérée des conséquences d’une approche violente dans les rapports de force actuels à laquelle ceux qui proposent d’autres trajectoires feraient bien de porter attention. Du côté des moins découragés, le débat réunit les horizontalistes, les verticalistes et ceux qui tentent un dépassement dialectique de cette distinction.

Les horizontalistes sont dans une étrange situation. Ils ont à leur actif des initiatives multiples et diverses, rurales comme urbaines, culturelles, sociales et tutti quanti. Ils sont le terreau de tout ce qui peut émerger. La vie serait vraiment bien pire sans tout ce qu’on fait horizontalement. Il y a juste un problème : malgré toute cette prolifération, il semble bien que les pelotes ne se desserrent pas. D’où l’idée déjà mentionnée de partir de n’importe où, de tirer sur les fils et quand ça bloque on coupe. Mais pour couper il faut des ciseaux, et les détenir est listé dans l’article 6-I de la loi du 13 novembre 2014 comme susceptible de constituer un acte de terrorisme si cette détention se fait en association avec la fréquentation de certains sites web. De là à se retrouver assigné à résidence même sans l’avoir demandé, il n’y a qu’un pas. En plus, les verticalistes se moquent des horizontalistes, qu’ils trouvent gentillets et inopérants.

Côté verticalistes, il y a d’abord ceux qui misent sur le duo infernal individu providentiel + boucs émissaires. Bon, on connait. On sait qu’ils sont toujours le symptôme de l’échec de tout le reste. Donc voyons le reste. Le problème suivant, c’est que les verticalistes acceptables, en tout cas ceux qui attendent, attendent, attendent que des partis, de leurs fractions, de leurs sous-fractions et de leurs succédanés émerge une force politique alternative, sociale et éthique autant que triomphante n’ont pas l’air plus opérants et sont en plus bien moins rigolos (que les horizontalistes). Du coup, on a tenté le dépassement dialectique. On va conjointement horizontaliser et verticaliser (ce qui a déjà été expérimenté dans d’autres domaines). Le problème, là, c’est qui c’est qui va se coller au côté vertical. Il semble qu’il y ait un risque que seul(e)s se présentent au portillon des qu’il va falloir surveiller comme l’huile sur le feu. Le mieux, ce serait de pouvoir en désigner qui ne sont pas candidats, qui ne veulent à aucun prix y aller. Et puis les autres, ils continueraient à horizontaliser et veiller au grain côté verticalité.

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