32. Les destituants

mercredi 27 janvier 2016 Commentaires fermés sur 32. Les destituants

Ceci est le trente-deuxième texte de la série Néotopies. Ni histoire, ni prédiction, ces textes accompagnent la naissance des néotopies à la façon d’un contrepoint.


Tout devient de plus en plus clair, au point que c’en est éblouissant. On a publié la nouvelle liste des autorités de l’État, avec dans l’ordre protocolaire :

Le Président de la déprime publique ;
Le Chef du gouvernement des esprits ;
Le Ministre de la police ubiquitaire ;
Le Ministre de la justice invisible et renseignée ;

suivis d’une ribambelle de technocrates intercheangeables parmi lesquels deux ministres de la protection des intérêts des oligarques, une ministre des médias décérébrants, trois ou quatre ministres de la mise au pas des fainéants, deux ministres de la guerre totale, aveugle et permanente, et une dizaine de secrétaires d’État occupés à la réduction des coûts dans l’intérêt de tous.

La destitution, ce n’est pas nous qui en avons eu l’idée. Avant même les derniers développements, deux publicistes (au sens qu’avait ce mot au 18e siècle) ont affirmé que dans la situation, il fallait remplacer la visée d’un improbable processus constituant par la perspective plus immédiate d’un processus destituant. Citant Baudelaire :

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

ils nous ont invité à :

[…] ramener sur terre et reprendre en main tout ce à quoi nos vies sont suspendues, et qui tend sans cesse à nous échapper […] [à] la destruction attentive, douce et méthodique de toute politique qui plane au-dessus du monde sensible.

Ils l’ont fait avec leur coutumière posture, semblant parfois plus soucieuse de repousser ceux qui voudraient les rejoindre que d’attirer ceux qui ne sont pas encore convaincus. Pourtant, la pertinence du propos ne fait pas de doute. Les destituants sont nés de la volonté de donner un caractère concret à cette esquisse. D’où les assemblées destituantes. C’est ouvert à tous, mais avec des règles de fonctionnement. Il fallait éviter le tribunal populaire, après tout notre problème ce ne sont pas les personnes mais le système qui leur a permis d’exercer les fonctions qu’on veut profaner, c’est à dire rendre à l’usage commun comme l’a expliqué Giorgio Agamben. Les titulaires de ces fonctions sont bienvenus dans la discussion, mais curieusement ils se présentent rarement. Alors on désigne quelqu’un pour les représenter. Ils le font si bien que ça nous fait parfois peur. C’est comme cela qu’on a destitué le ministère de la justice. Attention, juste le ministère, pas les juges, pas les avocats, ni les procédures du moins celles qui respectent la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, ni les tribunaux donc sauf ceux d’exception. Il y en a qui se demandent ce qu’on met à la place. Mais rien, c’est toujours là, mais pour la première fois, la séparation des pouvoirs commence à ressembler à quelque chose. En fait, cela change surtout la façon de nommer. On ne dit plus ancien ministre, on dit titulaire du portefeuille de l’ancien ministère de la justice, destitué en date du…

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