Une armée d’amants

mercredi 27 avril 2016 § 2 commentaires

Poetry at City Lights

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Il y a des livres qui vous embarquent. La seule décision que vous prenez vraiment c’est de les prendre dans vos mains. C’était dans la salle poésie de City Lights, la librairie et maison d’édition de Lawrence Ferlinghetti à San Francisco. Là où j’ai entendu plus de trente ans auparavant certains des poètes beats lire leurs poèmes. Un espace très vaste (pour un « rayon » poésie) et pourtant intime. Tout autour, il y a des chaises et les lecteurs qui s’y assoient se tournent vers les rayonnages, et donc le dos les uns aux autres. Toute une bibliothèque marquée « Beats », mais rien que des hommes. Les femmes sont relayées dans les rayons de poésie générale, là où j’ai trouvé l’édition des poèmes de Joanna McClure achetée ce jour là. City Lights a une collection de littérature contemporaine. C’était là, un petit livre gris, avec ce titre An Army of Lovers et deux noms d’auteurs. Je l’ai pris dans mes mains, je l’ai ouvert près de la fin, pas le genre de trucs que je fais d’habitude, et j’ai commencé à lire. Ça ne m’a pas lâché. Mais j’avais faim. Je suis allé payer à la caisse et manger dans un italien (c’est le coin des italiens). J’ai continué à lire. Puis j’ai marché très longtemps jusqu’à la maison d’amis à Noe Valley où je logeais. Je me suis remis à lire. Le lendemain, je suis retourné à City Lights et j’ai demandé qui s’occupait des droits de traduction. La personne à la caisse m’a laissé un papier avec un nom (Henry) et un n° de téléphone. De retour, j’ai fait lire le livre à quelques personnes en disant : « j’ai envie de le traduire, qu’est-ce que tu en penses ? ». Ils étaient pour.

An Army of Lovers est une collaboration entre deux poètes racontant une collaboration entre deux poètes. C’est aussi une exploration à la fois sensible et érudite des relations entre poésie et politique, un questionnement brûlant de pourquoi diable est-ce qu’en écrire – de la poésie – paraît à la fois si nécessaire et si insuffisant par rapport même à ce qui le rend nécessaire. On s’y débat dans l’enchevêtrement de liens qui lient nos corps, leurs maux, nos mots, nos actes. C’est une narration où tout se tient, mais c’est avant tout un édifice de langue, où 4 fois de suite, une narration s’embarque dans une envolée poétique et foutraque qui mêle maladies, sexe, création numérique, frontières imprécises entre les genres, amitié, action et commerce d’armes. Tout ça est construit autour d’un lieu (N 49 15.832 – W 123 05.921 si vous voulez y aller avec votre GPS) et bâti autour d’un remix de la nouvelle de Raymond Carver What We Talk About When We talk About Love en What We Talk About When We talk About Poetry. C’est précis comme une symphonie, mais ce sont les envolées de langue qui m’ont embarquées, un défi de tenter les faire vivre en français, pas à moi de dire si j’ai pu. Ce livre est profondément ancré dans la culture américaine et pourtant ou à cause il fait résonner mille échos avec le moment que nous traversons ici. Mais s’il n’en reste un peu, ce sera grâce aussi à mes complices dans cette traduction, Guillaume Vissac et Christine Jeanney. On a fait une collaboration à propos d’une collaboration pour écrire l’histoire d’une collaboration. Le petit livre gris a grandi et est devenu rouge. C’est beau aussi dedans et c’est Roxane Lecomte qui a tout fait : couverture et maquettes papier et numérique. J’espère que vous y collaborerez en le lisant et en faisant usage. Car ce n’est pas un livre à laisser ensuite sur un rayonnage. Et pour commencer, venez le lundi 9 mai au Cent ECS (Juliana Spahr et David Buuck y seront en vidéo).

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