Je chronique à nouveau un livre de Nastassja Martin ici. Deux raisons pour cette réitération : bien sûr le fait que ces deux livres comptent particulièrement pour moi, mais aussi le sentiment que cette seconde note de lecture est une sorte de continuation de la première, et l’occasion de mieux exprimer ce qui m’importe dans le traitement littéraire des relations entre humains et animaux ou plus généralement avec des entités que nous pouvons reconnaître comme des sortes de personnes.
Dans la première note, portant sur le livre issu de la thèse d’anthropologie de Nastassja Martin, j’écrivais ceci :
…j’ai lu tout le livre comme un texte littéraire, même les parties où elle décortique de la façon la plus méthodique possible ce qu’elle observe. Et ce ne fut pas en vain, car ils sont nombreux les passages où, au détour d’une phrase, elle montre ce qu’elle pourrait faire dans ce registre…
C’est dire le bonheur que j’ai eu à découvrir en Croire aux Fauves la preuve qu’elle avait suivi ce chemin que sans doute elle avait déjà l’intention de parcourir. Mais Croire aux fauves n’est pas un roman, c’est un récit, et le récit d’une rencontre violente avec une personne-ours, des séquelles de cette violence (l’ours n’en est pas sorti indemne non plus), de ce qu’elle a dû traverser pour renaître comme une autre personne et pourtant la même. Pourtant la même parce que dans les mots des Évènes du Kamtchatka, elle était déjà mathukha (ourse humaine) et qu’après la rencontre elle va devenir miedka (moitié-moitié femme et ourse). J’écris dans le train de retour des Pyrénées, terre d’adoption, où les rencontres entre ours, brebis et bergers se font sous le signe d’une autre violence. Ces derniers temps, certains ours sont saisis d’une fureur qui paraît folle, ils tuent les brebis en masse, directement ou en les poursuivant jusqu’à ce qu’elles sautent des barres rocheuses, ils défigurent les vaches en les griffant sauvagement. Ces ours ont subi eux-mêmes une violence que les commentateurs négligent, celle d’avoir été transplantés de Slovénie dans les Pyrénées. Les bergers espagnols disent que les Slovènes ont envoyé en France des ours violents, semblables au lion qui tue trop de vaches et qu’il faut chasser dans La chasse au lion à l’arc de Jean Rouch. Mais je pencherais plutôt pour le traumatisme de la transplantation, de la perte du territoire, d’ailleurs ils parcourent dans les Pyrénées des distances très inhabituelles et erratiques.
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