@Lambert_phil a suggéré hier que j’ajoute une île à l’archipel du non-advenu : l’île des découvertes heureuses. Ca ne se refuse pas. Mais il y a un hic, c’est que ça ne peut pas être une île. Tout le monde la chercherait, et personne ne voudrait en partir. Vous voyez déjà la surpopulation. Il faut imaginer autre chose.
En fait, pour parvenir aux découvertes heureuses, il faut d’abord se perdre. Ce n’est pas difficile. En fait, il suffit de se rendre compte qu’on est déjà perdu, de réaliser qu’on est une sorte de colis tombé d’un navire, ballotté par la houle et emporté par le courant. Vous savez le grand courant qui sépare l’île des regrets de celle des choses qui n’ont pas encore eu le temps d’arriver. Celui dont personne ne comprend ce qui le met en mouvement. Ce n’est pas un courant de marée, peut-être est-ce juste l’équivalent liquide de la flèche du temps. Pas moyen d’y résister. Ceux qui essayent s’épuisent et se noient. Heureusement sur les bords il y a des contre-courants. Soudain tout s’y calme, avant qu’on comprenne qu’un contre-courant, c’est quand même un courant. Avec un peu de chance il vous dépose quelque part. Il ne faut pas croire qu’on est arrivé. Souvent les découvertes heureuses sont cachées derrière d’autres. Malheur à ceux qui s’installent obstinément sur une plage illusoire. Il faut beaucoup d’énergie pour se relancer dans le courant. Heureusement, parfois, c’est la tempête qui vous arrache. Elle ne prévient pas, vient de nulle part. On mettra longtemps à le reconnaître mais elle vous arrache en un instant. Le problème pour les cartographes, c’est qu’une fois qu’on a été emporté et re-déposé dans l’heureuse découverte, on ne sait plus où on couche. Pas de GPS disponible. Tout juste les points d’apparition et de disparition des étoiles sur l’horizon dont se servaient les navigateurs dès l’antiquité pour parcourir de grandes distances dans le Pacifique.1 Mais on oublie de suivre ces étoiles, on est trop occupé.
- Cf. Wade Dabis, The wayfinders: why ancient wisdom matters in the modern world, House of Anansi Press, 2009. [↩]