Contre-courants

vendredi 27 juillet 2012 § 3 commentaires § permalink

@Lambert_phil a suggéré hier que j’ajoute une île à l’archipel du non-advenu : l’île des découvertes heureuses. Ca ne se refuse pas. Mais il y a un hic, c’est que ça ne peut pas être une île. Tout le monde la chercherait, et personne ne voudrait en partir. Vous voyez déjà la surpopulation. Il faut imaginer autre chose.

En fait, pour parvenir aux découvertes heureuses, il faut d’abord se perdre. Ce n’est pas difficile. En fait, il suffit de se rendre compte qu’on est déjà perdu, de réaliser qu’on est une sorte de colis tombé d’un navire, ballotté par la houle et emporté par le courant. Vous savez le grand courant qui sépare l’île des regrets de celle des choses qui n’ont pas encore eu le temps d’arriver. Celui dont personne ne comprend ce qui le met en mouvement. Ce n’est pas un courant de marée, peut-être est-ce juste l’équivalent liquide de la flèche du temps. Pas moyen d’y résister. Ceux qui essayent s’épuisent et se noient. Heureusement sur les bords il y a des contre-courants. Soudain tout s’y calme, avant qu’on comprenne qu’un contre-courant, c’est quand même un courant. Avec un peu de chance il vous dépose quelque part. Il ne faut pas croire qu’on est arrivé. Souvent les découvertes heureuses sont cachées derrière d’autres. Malheur à ceux qui s’installent obstinément sur une plage illusoire. Il faut beaucoup d’énergie pour se relancer dans le courant. Heureusement, parfois, c’est la tempête qui vous arrache. Elle ne prévient pas, vient de nulle part. On mettra longtemps à le reconnaître mais elle vous arrache en un instant. Le problème pour les cartographes, c’est qu’une fois qu’on a été emporté et re-déposé dans l’heureuse découverte, on ne sait plus où on couche. Pas de GPS disponible. Tout juste les points d’apparition et de disparition des étoiles sur l’horizon dont se servaient les navigateurs dès l’antiquité pour parcourir de grandes distances dans le Pacifique.1 Mais on oublie de suivre ces étoiles, on est trop occupé.

  1. Cf. Wade Dabis, The wayfinders: why ancient wisdom matters in the modern world, House of Anansi Press, 2009. []

L’archipel du non-advenu

samedi 7 juillet 2012 § Commentaires fermés sur L’archipel du non-advenu § permalink

Le Trésor de la langue française informatisé définit advenir comme « se produire, comme une chose possible, mais de manière non absolument prévisible, quoique attendue. ». Le non-advenu n’est donc qu’un tout petit archipel dans l’océan de ce qui ne s’est pas produit. Il se compose de ce qui n’est pas arrivé, aurait pu le faire, et si c’était arrivé, nous aurait pris un peu par surprise alors même que nous l’attendions. Le non-advenu est un archipel pour la raison simple qu’il a plusieurs îles. Il y a celle des choses qui auraient pu arriver et mince on les a loupées, trop tard, dommage, foutu. C’est l’île du regret, avec sa terre pauvre où ne poussent que des plantes amères. Il y a l’île des choses qui n’ont pas encore eu le temps d’arriver, trop tôt, pas prêt, s’est pas trouvé. Elle est grande, et d’où qu’on la regarde on n’en voit jamais qu’une petite partie. L’île de la sérenpidité, malgré sa poétique attraction, n’appartient pas à l’archipel du non-advenu, parce que les choses qui l’habitent sont absolument inattendues, non seulement dans leur survenue mais aussi dans leur nature et leurs conséquences.

L’archipel du non-advenu contient cependant un petit atoll, que de nombreux cartographes ont ignoré mais qui n’a pas échappé aux sagaces philosophes. L’un d’entre eux remarquait : « à chaque instant quelque intention jaillit à nouveau de moi, ne serait-ce que … vers les instants qui adviennent et repoussent au passé ce que je viens de vivre. »1 C’est l’atoll du toujours presque là, où chaque instant s’échappe pour faire place à un autre peuplé de la même attente. On y rencontre des promeneurs un étrange sourire aux lèvres qui ne savent pas quand se produira ce qui peut advenir, mais qui l’appellent à chaque instant.

  1. Merleau-Ponty dans Phénoménologie de la perception, toujours selon le TLFi. []

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