Course 1 – De Roussillon à Lioux en passant par l’ombre de la falaise

dimanche 5 août 2012 § Commentaires fermés sur Course 1 – De Roussillon à Lioux en passant par l’ombre de la falaise § permalink

En cette période de jeux olympiques, ne vous y trompez pas, on peut courir à pied très lentement, et c’est tout de même de la course. La course est une activité mentale autant que physique, philosophique même. Haruki Murakami lui a consacré un livre traduit en anglais sous le titre What I talk about when I talk about running. L’essentiel, c’est que le coureur à pied pense. Si, si, il pense. Quand il est bien fatigué, il peut même ressasser une pensée sans arrêt. Il peut penser au nombre de secondes mises à parcourir le dernier kilomètre. La comparaison avec le kilomètre précédent peut l’occuper jusqu’au suivant. Le plus intéressant, c’est que le coureur à pied (la coureuse aussi je suppose) parcourt de nombreuses fois les mêmes itinéraires. Avant toute autre chose il pense chacun de ces itinéraires. Il y a un ou plusieurs près de chez lui bien sûr, mais aussi autour de chaque maison d’amis, chaque lieu de vacances, dans chaque ville visitée régulièrement. Lauri Grohn, un collègue bruxellois autant que finlandais avait équipé son vélo de dispositifs de mesure de ses paramètres biologiques. Il enregistrait ces paramètres chaque matin pendant son trajet vers le bureau, et se servait de leurs valeurs pour piloter un algorithme de composition musicale.1 Mais on peut aussi prendre l’itinéraire comme objet direct de l’écriture. C’est ce que feront les billets de cette série.


De Roussillon à Lioux en passant par l’ombre de la falaise

25° le matin, et on sent la chaleur monter. Les hordes touristiques ne sont pas encore là dit le barbare qui se croit différent. Descendre la route le long du parking en épi. Négocier le rond-point, ses automobilistes hésitants et son agente d’information. Continuer tout droit sur la petite route et son panneau Clavaillan 4 km. Une fois ce panneau franchi, on peut oublier Clavaillan qui de toute façon n’est pas à 4 km. Longer villas et arbres, petite montée puis grande descente, celle qui dans l’autre sens est une féroce montée. Glisser légèrement, sinon muscles durcissent et on le payera. Passer devant grand domaine viticole et son portail au milieu de rien. Méandres dans champs. Petit pont sur petite rivière, remonter vers la route D2. C’est là qu’on sent si on a été léger en descendant. Tourner à droite, direction Saint-Saturnin-lès-Apt. Soleil matinal parfaitement aligné avec la route, plus d’ombre, route désespérément plate. Serrer les fesses voitures. Artisans pressés, touristes zigzaguants se disputant en regardant la carte, pots d’échappement troués agressifs doublant pétaradants cyclistes néerlandais, peut-être un vieil agriculteur dans sa 4L commerciale. 1km5 à faire. Ombre bosquet deux fois 50m. Enfin croisement. Tourner à gauche route de Carpentras. On se sent ailleurs. Ailleurs de quoi au fait ? Mas secondaires et vignes. Faux plat ascendant, si pas encore fatigué, brève illusion endorphinique d’être en forme. Passer pont, odeurs plantes non-identifiées réveillées par le soleil. Orée de la combe de Lioux, tourner à droite. Trajet vallonné pas difficile. Sentir un peu fatigue. S’approcher du village neuf. Tourner vers le château et sa maison de maître équitablement bousillés par remises à neuf. Lavoir, fontaine, refaire le plein bouteille, la source du vieux village ne coule pas l’été. Traverser village, ralentisseurs mais on est déjà bien ralenti. Retour à la route. En face potager, citerne, panneau Lioux 1 km. L’ombre de la falaise est encore loin, alors qu’elle maintient l’hiver la pente en gelée blanche parfois toute la journée. Odeur chênes verts grillés soleil et cette plante poivrée dont j’oublie toujours le nom. Soleil en face, douce brûlure. Ca monte fort, raser bitume. Lacets et ombre bienfaisante. Longue ligne droite parallèle à la falaise. Tournant à gauche, s’éloigne un peu, de nouveau soleil, re-tourne et la vue soudain sur toute la falaise avec à droite sa dalle calcaire détachée et à gauche deviner celle en train de se former. Lacets village. Boire bouteille à l’église, fontaine asséchée. Redescendre, frimer en croisant vélos. A la route, monter en face cette fois. Chaleur rayonnant par bouffées des dalles calcaires, mais bientôt la douche, l’eau fraîche du bassin.

Au fait à quoi ai-je pensé ? A rien, strictement rien d’autre que mémoriser l’itinéraire. Une course parfaite.

  1. Revenu en Finlande, il construisait des logiciels de génération musicale à partir d’images la dernière fois que j’ai eu de ses nouvelles. []

Sentence

mercredi 4 juillet 2012 § Commentaires fermés sur Sentence § permalink

Quand j’écris un texte que je crois personnel, au moment où je le relis avant de le publier, j’ai souvent le sentiment que quelqu’un d’autre l’a déjà écrit. Comme essayiste, je sais que c’est en général vrai. Alors je cherche. Ici, c’est Haruki Murakami que j’ai trouvé, dont voici un lointain écho.


Sentence

On m’a mis là avec les autres. Nous sommes tous l’objet d’une sentence capitale. Ce n’est pas juste un décret du destin, ou la nature d’être mortel. C’est bien une sentence. Quelqu’un ou quelque chose l’a prononcée. La date d’exécution n’est pas connue. On ne nous garde pas dans le couloir d’une prison, où donc nous échapperions nous ? En attendant, nous vivons comme si de rien n’était. En couple ou en famille, parfois seuls. Les enfants aussi sont condamnés, et chacun veut leur cacher. Tôt ils le savent. On ne sait pas comment ils l’apprennent mais ils le savent.

Finalement, nous vivons peut-être aussi longtemps que si nous n’étions pas condamnés. On sait qu’une sentence nous frappe parce qu’à un moment, on nous offre un bonheur. Pas juste une cigarette, un repas ou une musique. Non, un bonheur. Pas forcément celui dont on rêvait, souvent un qu’on ne pouvait même pas imaginer. Mais nous le reconnaissons, toujours. Ici on l’appelle le cadeau. On ne sait pas si c’est de l’humour. Comme la date de notre exécution n’est pas connue, le cadeau vient parfois très longtemps avant. La durée de notre vie après le cadeau doit être tirée au hasard par une sorte de machine. Certains espèrent qu’elle sera courte. Pourtant, nous ne vivons pas dans le malheur après. Nous continuons à aimer, à rire, à nous émouvoir, à jouer, à apprécier ce qui est beau. Ce n’est pas une question de comparaison. La vie ne vaut pas moins la peine d’être vécue après. C’est juste que ce cadeau, nous savons qu’il est le dernier de sa sorte. Nous le reconnaissons toujours, et à ce moment, nous prononçons une phrase. Cette phrase, c’est la sentence. Finalement, c’est nous qui la prononçons.
» Lire la suite «

Where Am I?

You are currently browsing entries tagged with Haruki Murakami at atelier de bricolage littéraire.