Je l’ai déjà dit en 4 fois 140 caractères, Dans le squelette de la baleine mis en scène par Eugenio Barba et son Odin Teatret a été pour moi un vrai choc, un émerveillement brutal. La principale inspiration revendiquée par le texte remis aux spectateurs sous la forme d’un tout petit livret cousu est celle du Devant la loi de Kafka. Il s’y ajoute certains extraits assez hétérodoxes des manuscrits gnostiques coptes de Mag Hammadi1. Ce qui rassemble ces sources d’inspiration, c’est une vision ancrée dans des religions de l’émancipation humaine et du retournement des relations entre les êtres humains et leur(s) dieu(x), retournement à travers lequel il appartient aux humains d’exercer leur liberté pour inventer un monde qui soit plus hospitalier à ce(s) dieu(x).
J’ai lu Kafka quand j’avais entre 16 et 18 ans, Le procés, La métamorphose et surtout les Lettres à Milena qui enflammaient mes amis d’alors pendant que, plus jeune qu’eux, je me demandais surtout comment faire pour que certaines veulent bien considérer mon air malheureux avec autre chose qu’une pitié amicale. Je ne crois même pas qu’à l’époque je savais que Le procès était un roman inachevé dont seul la Parabole de la loi avait été publié du vivant de Kafka (on ne lisait pas les préfaces, c’était nul, on se ferait notre propre idée). J’étais comme aujoud’hui un athée aux origines alimentées par de multiples cultures, y compris religieuses. Le milieu où je traînais agitait des interrogations sur l’identité culturelle juive et s’il fallait l’épouser ou la respecter à distance critique. Certains s’échauffaient autour des thèmes théologiques protestants de la mort de Dieu. On se demandait si on pouvait s’opposer aussi fort à la guerre du Vietnam et ne pas se dire soutien des communistes vietnamiens. On lisait des livres auxquels on ne comprenait rien qui parlaient de différance. S’y intéresser était la porte d’entrée de l’attention de certaines, porte devant laquelle veillaient hélas pas mal de gardiens. On commençait à comprendre qu’il n’y avait pas en face de nous un ennemi, mais un système bureaucratique anonyme, que l’essentiel de son pouvoir résidait notre acquiescement à certaines de ses règles, notre peur de les contester. Alors on énonçait de temps en temps des énormités provocantes, histoire de se prouver qu’on était capable de dépasser cette peur.
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- L’article de Michael Löwy que je cite plus loin critique de façon convaincante ceux qui veulent rattacher la pensée de Kafka à ces courants gnostiques, mais cela n’interdit bien sûr pas de les rapprocher dans une nouvelle œuvre. [↩]