Actualité

jeudi 8 octobre 2020 § Commentaires fermés sur Actualité § permalink

Dans mon roman Sœurs la surveillance généralisée est présente comme un environnement factuel de nos sociétés. Sœurs n’est pas un livre sur la surveillance, il n’en rajoute pas une couche, comme le ferait une dystopie qui aurait bien du mal à surpasser la réalité de ce qui se passe dans le Xinjiang pour les Ouighours ou même de ce que nous mijotent les politiciens de chez nous. Sœurs donne la voix à l’incomplétude de chacun, à l’incertitude et la force des amours, aux pouvoirs de la langue quand on la libère de de ses usages polluants, aux tours que jouent le hasard. Le récit prend les choses par en bas, si vous y cherchez les GAFAM, vous les trouverez sous la forme de startuppers minables qui ont oublié de s’arrêter de grandir à temps. Cet en bas, c’est celui des degrés de liberté qui restent et où se construisent des sororités, de celles qui ont aussi une place pour les hommes et les frères pour le jour où on inscrira Liberté-Égalité-Sororité aux frontons des mairies et des écoles. Mais tout de même, il serait dommage de se passer d’un petit coup de main promotionnel dont un livre publié par une maison d’édition indépendante a bien besoin.

Nous avons donc embauché très temporairement les promoteurs de ce qu’un article du Monde d’hier appelle :

des méthodes d’enquête – certes encadrées – de plus en plus tournées vers la captation en temps réel, le « prédictif », et de facto relevant pour beaucoup du domaine du renseignement. Notamment grâce à l’utilisation d’une méthode contestée qui doit faire l’objet, en France, d’un débat parlementaire en 2021 : la détection de menace par algorithme.

Cela fait un moment qu’ils étaient là, comme le racontent dans Sœur(s) les membres d’un groupe d’enquêteurs plutôt limiteurs de dégâts mais radicalement dépassés par le cours des choses. Car si vous cherchez des menaces par algorithmes, soyez rassurés, vous en trouverez, et ceux qui ne sont pas encore suspects le deviendront vite une fois qu’ils auront subi quelques conséquences de leur détection. Et je parle de toutes les menaces, par exemple les tenues qui portent atteinte à l’ordre républicain ou les croyances qui ne seraient pas compatibles avec les valeurs dont la Constitution de la République Française ne dit rien car elle n’emploie le mot valeur que deux fois dans l’expression « mise en valeur de l’environnement. »1

Pour faire face aux dangers de la détection de menaces par algorithme, présente dans Sœurs sous le nom de révélation de culpabilité potentielle, il nous faut accroître le nombre de suspects, ce que je vous invite à faire en achetant et lisant le livre sans tarder.

  1. A l’opposé, la Charte des droits fondamentaux de l’Union europénenne inclut trois mentions des valeurs dans son préambule, dont l’une a suscité d’importants débats du fait de l’inclusion de « consciente de son patrimoine spirituel et moral ». []

Surveillances

mercredi 11 mai 2016 § Commentaires fermés sur Surveillances § permalink

visuel Carole Zalberg

Sous ce titre paraît aujourd’hui aux Éditions publie.net un recueil de textes littéraires sur la surveillance et l’écriture des vies. Les contributions ont été invitées et suivies éditorialement par Céline Curiol et moi, avant que Guillaume Vissac et Roxane Lecomte prennent le relais pour produire le livre dans ses déclinaisons papier et numérique.

Dire d’abord ce que l’existence même du livre doit aux travaux antérieurs de l’une des contributrices, Cécile Portier. Dans son projet Traque Traces puis dans Étant donnée, elle ne s’est pas contentée d’écrire et de faire écrire sur la surveillance contemporaine, ni même de souligner, avant les révélations d’Edward Snowden, l’impact de l’existence d’une surveillance massive et pervasive sur la liberté de pensée et d’expression. Elle a esquissé un autre programme, celui d’une réclamation (au sens du mot d’ordre « reclaim the streets ») des récits, y compris ceux qui se déroulent dans l’espace des traces numériques, réclamation qui est la condition de la réclamation de nos vies, de leur écriture.

Plus directement, le projet du livre est né dans le cadre du Symposium Au-delà de Big Brother : la surveillance entre réalité et fiction, coorganisé par le Festival du Film de Lisbonne-Estoril et La Quadrature du Net en 2014. Activistes et écrivains y avaient échangé, mais avec une présence limitée des derniers et nous avons eu la volonté d’approfondir ces échanges par un appel à écriture.

visuel Céline Curiol

La question que nous avions posée aux auteurs invités était : Si nos vies sont suivies en temps réel, pourrons-nous encore les écrire ? Certains ont préféré laisser la question à distance, alors que d’autres comme Marie Cosnay l’ont décortiquée à la lettre. Les textes nous ont surpris par leur diversité et débordent largement des seuls aspects numériques : ils abordent la façon dont ceux-ci prennent appui sur des continents intérieurs de la surveillance et de ce qui y résiste ou négocie avec elle. Il y a la surveillance avant la surveillance, ce que le surveillé tente de restituer d’une symétrie avec le surveillant, si mise à mal par nos sociétés du drone sécuritaire et social, l’auto-surveillance de plusieurs façons. Mon propre texte plonge ses racines dans l’activisme de La Quadrature du Net qui a été en pointe dans les combats contre le partenariat public-privé de surveillance globale de masse. Mais peut-être pas comme on s’y attendrait. Bonne lecture.

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