Enfance / Adage sur le nom de Ravel

mardi 1 décembre 2015 § 4 commentaires

2. Adage : (de adagio) Suite de mouvements effectués sur un rythme lent, souvent avec l’appui d’un partenaire. (Le petit Robert)

Christine Jeanney et moi avons écrit à quatre mains et deux claviers un poème. Sa lecture vous est proposée au fil d’un enregistrement de l’Adagio du concerto en sol majeur de Maurice Ravel (interprété par Marguerite Long et l’Orchestre symphonique sous la direction du compositeur en avril 1932). Son écriture a suivi le même fil. Voici le produit de cette collaboration dont nous avons inventé les règles en marchant.

venu | ... à la rame | ... vers | ... la rive aimante | ... à vau-l'eau après | ... lumière rasante | ... rien vu | ... rien entendu | ... la rade l'ancre l'amarre | ... algues varech | ... vie égarée | ... linéament | ... esquissant l'à venir | ... voyageur enfoui | ... rafle l'avance | ... rive l'amour | ... aux voiles lointaines | ... au vent levé | ...
viens | ... entre elle | ... et lui | ... entre en eux | ... rassemble-les | ... lie leur étreinte | ... envoûte l'aléa | ... leurs esprits vacants | ... étire-les | ... vers l'étranger | ... vois | ... l'ébauche visible | ... la ligne | ... au ventre | ... arrondis-là | ...
vagir | ça monte emplir l'air vif | depuis très loin derrière nous aux alentours | n’aie pas peur les arômes | main sur l’épaule leurs voix | il n’y a pas de certitudes la vague répandue | oh comme elle meurt et le ressac | léger englouti | entendu voir | figure confiante leurs regards | et rien à obtenir lucarnes accrochées au vide | relâchement
appâts | atteindre espace enveloppe rêvée | silences vite l'agir | le poids infini avant l'abandon | une autre tessiture requiert | ce qui trébuche venue après l'absence | une autre voix rebelle | toute proche en lisière | maintenue amorce vacillante | tenace liesse | docile suit le courant verticales réjouissances | liesse encore les regards | les étreintes en renfort | ce qui enveloppe l’immensité
avec l'ample roulis | viennent les arpèges l'eau vibrante | pas d'inquiétude la vie | sa force souterraine enfle | ne lâche pas prise
la voix libérée | l’esprit l'enfant exulte | une rivière de sel l'avancée | sur les pierres qu’on enjambe encore retenue | parce qu’on ne sait rien
allongé au verger | ensuite apprendre les noms recenser les végétaux | les constellations les animaux | l’équation du ciel sur la mer la réalité | vive les ères | bouleversements les vies assemblées | reconstruites les ribambelles | éparpillées leurs éternels amas | ne pas pouvoir tout embrasser
regardant | ce qui est maintenant derrière soi lequel | tout a été avec | peines tranchantes et joies la vie | juste et en avant | sans course, sans brusquerie le labyrinthe | suivre les destinations, le fil enchevêtrant | les éclats de ciel, coulés rêves et affres | les arbres penchés en signe de consolation robe végétale | constellation aux ramilles étoilées | une danse énigmatique | un miroitement, on ne peut le saisir l'espérance | comme un insecte doux, une luciole à attraper aussitôt les larmes | ce qui s’éteint les regrets | ne peut se dire les vergognes | creusements aux arcanes voilés | inassouvis à la racine | rien n’est tari la lumière, la rosée | le jour recommencé essence volée | dans un parfum
assemblage labile | s’ouvre et s’ouvre encore reflet volatil | fugace approchant l'autre | la tête dans le creux du cou en vital élan | une marche éclate | le cri d’une mouette écoute la rumeur | les vagues bercent bleu le blanc vacillante étreinte | au bout de la jetée embrasement | plus loin – d'une force le voilà | soleil posé sur l’horizon l'esprit voyageur | une ligne dans le ciel
lentement | s’en allant vers l'épure | intraduisible aspirant | atemporel à l'entrevu | deux eaux l'ajour | disparition l'entrelacé | silence

Poème : Philippe Aigrain et Christine Jeanney
Segmentation de l’enregistrement et programmation : Philippe Aigrain.

§ 4 réponses à Enfance / Adage sur le nom de Ravel"

  • J’ai craint que Ravel (qui toujours ravit) ne soit qu’un fond sonore… mais l’écriture parallèle permet de superposer (à côté) le poème, ce qui est un dispositif original sauvegardant l’unicité de l’un et des autres.

    Une sorte de « cadavre exquis » dans son linceul de musique…

  • Irrésistiblement, je pense au poème de Jean Tardieu sur Ravel, enregistré par l’auteur sur le début du concerto pour la main gauche : https://www.youtube.com/watch?v=bjSVBXZUpvM
    Le surgissement typographique du texte est sobre, élégant. Un dispositif inspirant.

    • philippe dit :

      Merci beaucoup de ce pointeur. Même si notre approche est moins descriptive, plus de laisser la musique et ses échos écrire un nous un texte propre, quel beau précédent nous découvrons grâce à vous. Vous pouvez également consulter ce poème issu d’un échange précédent avec Christine Jeanney.

  • phil dit :

    Les hameçons si fins de l’âme en ligne de soie font parfois saigner plus profondément et jusqu’à l’exsangue qu’une foule folle de flottes armées rassemblée à la madrague. Que le dernier puisse rendre hommage aux premiers.

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