Loin de moi de Clément Rosset

lundi 9 mars 2015 Commentaires fermés sur Loin de moi de Clément Rosset

La campagne de solidarité politique avec la Grèce que nous avons lancée à quelques-un(e)s ne me laisse pas le temps d’écrire, un seul poème depuis un mois, absence qui murmure à mon oreille son reproche. Mais le temps de lire est toujours là. L’émotion mais aussi la jubilation de lire Noémi Lefebvre et sur un rythme plus lent The Lover d’A.B. Yeshosha. Et puis ce Loin de moi de Clément Rosset. Étude sur l’identité dit le sous-titre mais un avertissement précise qu’il s’agit d’une étude sur le sentiment d’identité. Clément Rosset est un philosophe comme ils devraient tous être : il analyse des choses complexes et nous présente sa pensée dans des mots simples, une écriture fluide, des intuitions raccrochées à la littérature, aux films, à la vie quotidienne. Loin de moi élabore la distinction entre deux formes (de sentiments) d’identité. Une identité « personnelle », identité intime du moi qui constituerait sa réalité ultime, et dont il affirme qu’elle est insaisissable, au bout du compte inexistante, que la quête de la saisir est vouée à l’échec, inutile et même « que moins on se connaît, mieux on se porte ». Il y oppose l’dentité sociale, celle qui nous vient de comment nous apparaissons aux autres et que nous considérons souvent une façade artificielle, celle aussi qui nous constitue par l’intérêt ou l’amour qu’il nous portent ou dont nous croyons qu’ils nous le portent. Clément Rosset affirme que tout désordre qui met en cause notre sentiment d’identité personnelle est de façon primordiale, antérieure, un trouble de l’identité sociale. Dans la deuxième partie du livre, il s’intéresse aux identités d’emprunt, non pas dans le sens d’identités usurpées, mais dans celui des modèles (parentaux ou amoureux) que nous nous prenons pour construire une identité qui nous échappe cependant inexorablement puisque justement c’est celle d’un(e) autre ou celle qu’un autre nous renvoie en nous aimant.

Je vous laisse découvrir ce petit livre qu’il serait malencontreux de paraphraser plus avant. Ce que je veux rapporter, c’est que sa lecture m’a permis d’élucider ce qui se jouait dans un échange sur twitter avec Sabine Huynh, amie numérique et poète admirée. Elle avait eu des mots gentils pour un de mes poèmes et il s’en était suivi une discussion concernant le rapport entre notre moi et les mots que nous écrivons. A un moment de ce dialogue, j’ai affirmé : « je crois à l’écriture […], avec toujours quelque chose qui vient d’ailleurs, d’autres, qui nous traverse » et Sabine a répondu « alors tu crois pas que les mots sont toi, ton prolongement? Si tu n’y crois plus, en leur pouvoir, tu ne crois plus en toi, non ? ». Je démentis: « non, ne t’en fais pas, je crois aussi que moi, je suis ce qui me traverse, mais au passage il y a une singularité, un individu ». En fait, si l’on en croit Clément Rosset, nous avions tous deux raison. Sabine en affirmant que ce qui nous définit, qui nous donne une identité, c’est que les autres voient de nous, et pour quelqu’un qui écrit, ce sont ses mots. Et moi en disant que ce moi, il n’existe pas hors de cette expression, qu’il est lui-même traversé des autres, qu’il se construit par leurs regards, le regard du lecteur sur les mots des autres et ce regard particulièrement étrange que le lecteur halluciné imagine porté sur lui par celui qui écrit.

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