Un petit livre rassemble en lui les facettes de l’écriture de John Berger. Son titre « and our faces, my heart, brief as photos » est le dernier vers d’un poème. Petits récits dont chacun porte une pensée profonde, acuité de l’analyse du regard, du rapport entre corps et conscience, amour et humanité. On voudrait traduire chaque passage pour le rejouer dans son esprit, dans sa langue.
Il est allongé avec la tête entre ses jambes. Combien de millions d’hommes se sont tenus ainsi. Combien de femmes, plaçant une main sur leurs têtes et souriant pensivement, ont pensé à l’accouchement.
mais autant traduire d’abord le poème qui introduit le livre et lui donne son titre :
Quand j'ouvre mon portefeuille pour montrer mes papiers payer une note ou vérifier l'horaire d'un train je regarde ton visage Le pollen des fleurs date d'avant les montagnes les Aravis sont jeunes parmi les monts Les fleurs produiront encore des ovules quand les Aravis vieillissants ne seront que collines La fleur dans le portefeuille du cœur, la force qui nous fait vivre survivront à la montagne Et nos visages, mon cœur, brefs comme des photos
Le livre a été traduit par Katia Berger Andreadakis en 1991 sous le titre Et nos visages, mon cœur, fugaces1 comme des photos aux Éditions Champ Vallon.
- Pourquoi ai-je traduit brief par bref et non par fugace ? C’est d’une part parce que brief (comme adjectif) veut dire bref, mais à soi seul cela n’excuserait pas l’étrangeté de dire que des visages ou des photos sont brefs. Mais les visages et les photos sont au cœur de tout l’ouvrage. Les photos ne sont pas fugaces, c’est ce qu’elles saisissent qui l’est. Quant aux visages, John Berger nous dit que ceux qui lui apparaissent lorsqu’il ferme les yeux sont avec certitude pour lui ceux de morts. Ce sont nos vies qui sont brèves. [↩]