La page que lisait Jo Hopper

dimanche 1 juillet 2012 Commentaires fermés sur La page que lisait Jo Hopper

La culture numérique suscite et coexiste avec des pratiques d’écriture organisées selon des règles d’interaction collective. Ces pratiques ne font pas forcément directement appel à l’écriture en ligne. Des amis organisent régulièrement de tels processus à l’occasion de fêtes. Dans le cas présent, chaque invité devait choisir une peinture ou un dessin dans une mosaïque d’images qui leur était envoyée. Peintures et dessins avaient en commun de représenter un personnage lisant. Il fallait alors écrire le texte de la page lue, l’ensemble des textes étant « édité » en un petit livre. Plusieurs des peintures et des dessins étaient des œuvres d’Edward Hopper. Dans d’autres contextes, les toiles de Hopper ont suscité une remarquable série de textes de Christine Jeanney. Voici un exercice différent (traduction française plus bas)1


Jo lisant - Edward Hopper - cliquer pour image agrandie

29 May 1930

My name is Thelma Cobb. I write this for the children of my children, the children of the survivors, should I say. This is not a story they should read at too young an age, and I will ask my son to give it to them only when they are 18. I am not used to write, and as this is a long story, I had to borrow a drawing pad from our new neighbour so as to write it like a book.

It started in March 1893. There was a terrible crisis in the economy. People say we are living through the worse one in the history of this country, but they don't remember 1893. Our farm was standing all alone here in South Truro, the rich Bostonians had not started to build their fancy summer houses around it. Our loneliness added to the sadness of the events.

It was the season of horseshoe crabs. In March they gather in thousands on the sandbanks of Truro, swarming like if these 400 millions old creatures were suddenly coming back from the faraway past. We love to go and watch them, but this time hunger was also driving us. Yes, one can eat them, though they are not a delicate dish. I was there with Bob, my third son. He must have been 7. The sky was grey but quiet, and then, when we were about 2 miles from home, a storm popped up with no warning. We walked back in a hurry, but we were soaked to the bones by the cold rain before we reached the farm, and Bob was coughing. The next morning, his cough was worse and he had fever. We put it on his catching the cold, and we did not search for the physician. The nearest one was in Chatham and he was charging fortunes for a visit. Because of the crisis, people had cut on all expenses, our meat and milk did not sell, and we were hanging to our meager savings for worse times even.

It is only two days later, when the other kids also started coughing that we realized that the rain was not to be blamed. I have cursed myself a thousand times for this, as I could have protected them by…

limule ramassée sur les bancs de sable de Truro

Jo lisant - Edward Hopper - cliquer pour image agrandie

29 mai 1930

Je m'appelle Thelma Cobb. J'écris ceci pour les enfants de mes enfants. les enfants des survivants, plus exactement. Ce n'est pas une histoire qu'il devraient lire trop jeunes et je demanderai à mon fils de ne leur donner que lorsqu'ils auront 18 ans. Je n'ai pas l'habitude d'écrire, et comme c'est une longue histoire, j'ai dû emprunter un carnet de croquis à notre nouveau voisin pour pouvoir l'écrire comme un livre.

Cela a commencé en mars 1893. Il y avait une crise économique terrible. Les gens disent que nous vivons aujourd'hui la pire crise de toute l'histoire de notre pays, mais ils ne souviennent pas de 1893. Notre ferme était alors isolée, les riches Bostoniens n'avaient pas commencé à construire leurs luxueuses résidences d'été tout autour. Notre solitude ajoutait à la tristesse des événements.

C'était la saison des limules. En mars, elles se rassemblent par milliers sur les bancs de sable de Truro, grouillant comme si ces créatures vieilles de 400 millions d'années nous revenaient soudain d'un lointain passé. Nous adorons aller les observer, mais cette fois c'était aussi la faim qui nous poussait. Oui, on peut les manger, bien que ce ne soit pas un mets délicat. J'y étais avec Bob, mon troisième fils. Il devait avoir 7 ans. Le ciel était gris mais calme, et soudain, alors que nous étions à près de deux miles de la maison, un orage se déclencha sans avertissement. Nous sommes rentrés le plus vite possible, mais nous étions trempés jusqu'aux os en arrivant à la maison, et Bob toussait. Le lendemain matin, sa toux avait empiré et il avait de la fièvre. Nous avons pensé qu'il avait pris froid, et nous n'avons pas appelé le docteur. Le plus proche était à Chatham et il faisait payer des fortunes pour une visite. A cause de la crise, les gens restreignaient leurs dépenses, notre viande et notre lait ne se vendaient plus, et nous nous conservions nos maigres économies pour le pire qui était probablement à venir.

Ce n'est que deux jours plus tard, quand les autres enfants ont aussi commencé à tousser que nous avons réalisé que ce n'était pas la pluie qu'il fallait accuser. Je me suis maudite plus de mille fois à cause de cela, car j'aurais pu les protéger en…

  1. Les Cobb étaient les voisins et amis bien réels d’Edward Hopper à Truro. Je doute qu’ils aient jamais traversé les événements ici racontés. []

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