Compte-rendu opératoire

mercredi 1 novembre 2017 § 3 commentaires

Le propre d’une opération sous anesthésie générale est que vous vous retrouvez privé d’un intervalle de temps, d’une façon radicalement différente de la coupure du sommeil. Lors du réveil après avoir dormi, on sait qu’il s’est passé des choses dans ce sommeil, des cycles, des rêves, qu’on a connu diverses excitations sexuelles, qu’on a continué à respirer sauf dans d’éventuelles apnées, qu’on a bougé ou pas, qu’une dormeuse ou un dormeur a mêlé sa respiration à la vôtre, on ne sait pas comment, mais on le sait. Ce sommeil n’est pas radicalement étranger à la veille, même si on a peiné à s’endormir, même si on est incapable de situer le moment exact on est passé dans ces autre état ou qu’au contraire ce passage a pu se faire en un instant, il y a une sorte de continuité, des états intermédiaires. À l’opposé l’anesthésie avec des produits modernes opère comme une coupure radicale. Même passage direct lors de la revivification dans la salle dédiée à cette activité. Clac, on est 2h40 plus tard, parfaitement conscient, ou du moins on le croît, de ce qui nous entoure et sans aucun souvenir, pas la plus petite trace de ce qui s’est produit dans cet intervalle de temps. Le compte-rendu opératoire est un rite contemporain destiné à vous fournir une expérience sans pareille, celle de s’observer rétrospectivement dans un temps où vous n’étiez pas là. Mais il vous prodigue également quelques surprises.

Il commence par une partie histoire (c’est de la vôtre qu’il s’agit), et là, à deux reprises, ce qui élimine l’hypothèse d’une faute de frappe, il mentionne une patiente. C’est potentiellement flatteur mais soulève tout de même des interrogations. On vous a demandé douze fois de quel côté se situait le problème qui vous amenait, mais pas une fois on ne vous a questionné sur le genre auquel vous appartenez. Alors même que vous avez, dans votre pratique littéraire, dû fouiller des zones incertaines de votre coresprit pour y discerner votre part féminine, y aurait-il quelque signe bien plus apparent qui aurait sauté aux yeux du rédacteur du compte-rendu ? Et surtout, l’opérateur — c’est ainsi qu’on désigne le chirurgien — a-t-il bien pris en compte la conformation particulière de certains organes voisins du problème ? Compte-tenu de ce qu’on vous a injecté dans la zone une bonne giclée de Ropivacaïne®, vous reportez à plus tard la vérification de leur bon fonctionnement. Plus tard, vous vous demanderez pourquoi le compte-rendu croit nécessaire d’ajouter ce signe ® après chaque mention d’un produit, alors qu’il n’est en principe destiné qu’à vous, votre médecin traitant et les archives de l’hôpital.

Au-delà de ce détail, le compte-rendu opératoire fournit des information précieuses. Il récapitule un protocole prédéfini pour établir qu’il a été respecté, mais surtout, il vous installe dans une observation où vous planez suspendu au-dessus du lit de bloc étroit, dédoublé entre votre moi vivant de lecteur et le corps étendu dont vous devez bien réaliser que ce devait être le vôtre, qu’on vous a fait une intubation trachéale décubitus dorsale et que vous n’en ressentez aucune trace, qu’on vous a fait trois trous dont les dimensions sont petites, qu’on vous a gonflé l’abdomen comme un ballon, que ce sont les gaz utilisés qui remontent maintenant vers vos épaules et votre cou et que surtout, vous êtes maintenant muni d’une prothèse de 14cm par 11 en polyester et polyuréthane, sans pour autant être sûr que cela vous confère un caractère bionique. Plus rare, le compte-rendu mentionne le nom de l’aide de l’opérateur en sus de l’anesthésiste qui vous a envoyé au loin et ramené dans ce blog.

§ 3 réponses à Compte-rendu opératoire"

  • FB dit :

    meilleures pensées pour l’échappée du tunnel !

  • Anne Savelli dit :

    élan et force pour la suite
    on t’embrasse

  • philippe dit :

    Vous êtes drôlement gentils les amis, soyez rassurés, je vais très bien, et pour ce qui relève d’une rare incursion dans l’autofiction, j’ai vraiment trouvé l’expérience intéressante.

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