Ceci est le neuxième texte de la série Vacance. Ni histoire, ni prédiction, ces textes accompagnent la naissance des néotopies à la façon d’un contrepoint.
L’évolution saisonnière retient son souffle. Temps variable de très mauvais à franchement dégueulasse dirait à peu près Pierre Dac. Les sudistes sont parfois épargnés si l’on en croit des photos de ciel bleui, mais la neige tardive les a cependant rattrapés en altitude. Le soleil a mis les voiles.
En fait, il nous boycotte. On est trop irrésolus pour lui. Il y a ceux qui arrivent à se pourrir la vie de façon soigneusement organisée. En plus ils se racontent que c’est la faute des autres, alors que c’est chacun d’entre eux qui les a laissés faire. Il y a ceux, beaucoup plus nombreux, à qui on l’a vraiment pourrie et ils ont beau se retourner dans tous les sens, l’herbe verte est trop chère ou trop loin. Et eux aussi ils se racontent que c’est la faute des autres. L’avantage si c’est la faute des autres, c’est qu’il suffira de quelqu’un qui leur tape dessus, aux autres. Les candidats ne manquent pas, chacun avec ses autres à soi sur lesquels il aimerait taper. Ce n’est pas une dépression sans responsables, pourtant. La responsabilité collective, on peut mettre des noms dessus, mais c’est plus dur de savoir par quel bout l’attraper et la secouer. Il y a ceux qui pensent qu’il faut en revenir à la lutte des classes, un truc qu’on comprenait, où il faisait souvent beau dans les films quand on sortait le pique-nique pour profiter des premières victoires.
Il y a ceux qui se rappellent de quand on a commencé à changer la vie, où ça ne se terminait pas toujours bien, mais un élan nous portait. Là aussi il faisait beau dans les films.
Ne croyez pas qu’après soit venu le crépuscule. Le monde s’est lancé dans deux trajectoires à la fois. La première nous donne tous ces esprits et ces corps, hésitants, créatifs et innovants, sages et méfiants, maladroits et nombreux, éparpillés et reliés. C’est un vague et complexe nous qu’on appelle « tout un chacun », hésitants, trop inquiets de retomber dans la simplification. L’autre trajectoire nous donne tous ceux qui gèrent l’état des choses. Ils l’orientent vers toujours plus de complication et un mouvement fou qui passe pour de l’immobilisme. A moins que ce soit l’inverse. Ces décideurs peuvent « externaliser les coûts de leur décision »1. Ils sont irresponsables.
C’est comme ça que sont nées les deux branches du mouvement : les défecteurs, dont on a déjà parlé, qui rompent avec l’hésitation, renouent avec l’élan en y ajoutant une discrète sagesse et les réflecteurs qui forcent les bénéficiaires et gérants de l’état du monde à réinternaliser le coût de leurs décisions. On passe facilement de l’une à l’autre de ces catégories : certains font même les deux à mi-temps. En tout cas, peut-être que bientôt, nous ne serons plus trop hésitants pour le soleil.
- Je reprend cette formule de l’entretien publié aujourd’hui dans Libération avec Grégoire Chamayou (accès payant) sur son livre Théorie du drone. [↩]
Avant, je vivais au soleil. On ne parlait pas du temps, il était là. Jusqu’au jour où pour moi, le soleil brûlait trop fort, il desséchait, m’éblouissait, m’empêchait de voir où j’étais et où j’allais.
Alors, je suis partie. Et maintenant je suis là, et tous ne parlent que de ça, du temps, du soleil. Toute cette eau qui tombe, tous ces nuages, cette punition, cette injustice !
Je marche sous la pluie et l’odeur m’assaille : crottin, thym, pins. Et vient le son : ressac, klaxons, glaçons, cigales. Et le goût : peau salée, ouzo, galets.
Je suis là, et le soleil est là.
Merci fort de ce beau et utile contrepoint, et d’amener avec vous le soleil manquant.