Il y a des notes de lecture qui doivent commencer par se situer, non pas par rapport à l’auteure, mais pour expliciter d’où on lit son livre. Nous vivons une époque où des penseurs très divers repensent les relations entre les humains d’une part et les animaux, les plantes, la nature en général, mais aussi certains éléments culturels comme la mémoire des disparus, les esprits qui paraissent habiter le monde dans certaines cultures. Cette reconsidération me paraît être hautement salutaire parce qu’en replaçant les êtres humains dans des réseaux de relations avec leur environnement, elle s’affronte à la mégalomanie et au réductionnisme qui jettent une humanité qui se croirait maîtresse de l’univers dans les pires exactions, y compris à son propre égard. Je me suis notamment passionné pour les approches de courants contemporains de l’anthropologie comme le perspectivisme d’Eduardo Viveiros de Castro et l’école de Philippe Descola, avec une mention spéciale des travaux de Nastassja Martin. Ces travaux portent à l’origine sur des civilisations de chasseurs-cueilleurs, de l’Amazonie à la Sibérie et l’Arctique, civilisations souvent dites animistes, parce qu’elles considèrent les animaux et plus généralement les êtres visibles et invisibles dont ils se sentent entourés comme des personnes, et même, pensent que les animaux eux-mêmes nous pensent comme une sorte particulière d’animaux. Alors que les chasseurs-cueilleurs considèrent les animaux domestiques comme privés de leur âme, en comparaison des animaux sauvages, des théories semblables ont aussi émergé pour analyser les rapports de civilisations d’éleveurs aux animaux qu’ils élèvent, puis même les rapports des humains contemporains aux animaux domestiques. Les auteurs concernés prêtent une attention particulière aux perspectives sur le monde que procure le fait d’avoir un corps, qu’il soit de chat ou de vache, d’humain ou même d’arbre. Ou plutôt à ce que nous humains pouvons imaginer que sont ces perspectives. Cela crée, selon moi, une affinité particulière entre ces penseurs et la phénoménologie d’un Merleau-Ponty. Et tous sont traversés d’un curieux rapport à la littérature, qui les fascine, qu’ils ne peuvent parfois pas se retenir de pratiquer, mais dont ils se sentent forcés de s’écarter pour satisfaire aux règles de leurs disciplines.
Ce qui rend le livre Mort d’un cheval dans les bras de sa mère de Jane Sautière si important, outre la beauté et l’économie de son écriture, c’est qu’elle fait le chemin en sens inverse, et armée de l’attention au détail, de l’empathie et du scrupule à tout écart à la vérité sentie et au souci éthique, elle nous offre une anthropologie domestique et urbaine sans pareille. Il y a d’abord, mais aussi au bout du compte, l’attention à l’animal en nous sans nier ce qui nous en sépare et la responsabilité qui en résulte, ici s’adressant aux animaux :
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